Planifier une fiducie familiale sans heurts

Par Julie Métivier et Scott Grafton | 1 décembre 2014 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Plusieurs facteurs pèsent dans la balance au moment de prendre l’importante décision de constituer une fiducie familiale. Souvent, ce sont les avantages fiscaux qui convainquent les propriétaires d’entreprise d’intégrer une telle fiducie dans leur structure. Cependant, il ne faut pas oublier les inconvénients, qui peuvent causer bien des surprises…

QUELQUES AVANTAGES

LE FRACTIONNEMENT DES REVENUS

Au cours de son existence, une fiducie acquiert des biens. Souvent, elle souscrit à des actions participantes sans droit de vote[1] de la société du propriétaire d’entreprise. Ces actions produisent des dividendes, que les fiduciaires pourront répartir parmi les bénéficiaires. Il s’agit donc de fractionner le revenu de dividende qui, autrement, serait entièrement remis et imposé au propriétaire. Les dividendes remis aux bénéficiaires sont alors inclus dans leur déclaration de revenus et l’impôt applicable est payé par ces derniers, selon leur taux d’imposition. La situation familiale du propriétaire joue un rôle majeur dans la planification : si sa conjointe a déjà des revenus élevés et que ses enfants sont autonomes financièrement, cet avantage sera inexistant.

Exemple : Votre client est propriétaire unique de sa société, et se verse annuellement un dividende de 100 000 $. Il paie alors 18 529 $ d’impôts et cotisations. Sa conjointe ne gagne aucun revenu, et son enfant majeur travaille à temps partiel et gagne 6 000 $ par année. Si les actions appartenaient à la fiducie, les fiduciaires pourraient distribuer les dividendes comme suit :

  • 1. 58 000 $ au propriétaire;
  • 2. 30 000 $ à la conjointe; et
  • 3. 12 000 $ à l’enfant.

Selon le taux d’imposition de chacun, et sans déduction particulière, le total d’impôts et cotisations à payer serait de 8 931 $ – une économie d’impôts de 9 598 $.

Une société peut aussi être nommée bénéficiaire d’une fiducie. Ainsi, si des dividendes sont déclarés et qu’il n’est pas souhaitable qu’ils soient distribués en totalité aux bénéficiaires qui sont des personnes physiques, l’excédent peut lui être versé. Les dividendes sont des dividendes intersociété et aucun impôt n’est exigible à ce moment; il est reporté lorsque des dividendes seront versés par la société de gestion à son ou ses actionnaires. Souvent, cette société de gestion sera considérée comme le fonds de retraite du propriétaire d’entreprise. Il y accumulera ses surplus et vous pourrez l’accompagner dans ses choix de placements afin que ses actifs fructifient. Puis, lors de sa retraite, il pourra retirer des dividendes selon ses besoins.

LA DÉDUCTION POUR GAIN EN CAPITAL

Selon la Loi de l’impôt sur le revenu, pour 2014, chaque personne bénéficie d’une déduction pour gain en capital de 800 000 $ lors de la vente d’actions d’une société. On peut multiplier cette déduction si les actions sont détenues par une fiducie familiale. Pour ce faire, les fiduciaires devront distribuer le gain en capital imposable en faveur de plusieurs bénéficiaires. Cette déduction peut également être prise par des enfants mineurs. Cependant, la société doit satisfaire certaines conditions, notamment avoir au moins 90 % de ses actifs qui servent à son entreprise. Nommer une société de gestion à titre de bénéficiaire de la fiducie familiale pour y transférer régulièrement l’excédent d’actifs est donc une bonne solution pour que la société exploitante satisfasse ce critère.

LA PROTECTION DES ACTIF

Les actions de la fiducie familiale ne font pas partie du patrimoine du constituant, du fiduciaire, ou du bénéficiaire. Advenant une poursuite contre le propriétaire de l’entreprise ou un membre de sa famille, les actions participantes de sa société détenues par une fiducie familiale discrétionnaire sont protégées. Toutefois, les fiduciaires peuvent donner les biens de la fiducie en garantie d’une dette de cette dernière ou de l’un des bénéficiaires. Dans ce cas, les créanciers pourront saisir ces biens en cas de défaut de paiement.

L’IMPÔT AU DÉCÈS

Une personne est présumée avoir vendu tous ses biens à son décès. Sa succession doit alors payer les impôts applicables, et la facture d’impôt peut s’avérer très salée pour des propriétaires d’entreprise. Si les biens sont légués au conjoint, l’impact fiscal est reporté au décès de ce dernier ou lorsqu’il vendra les biens. Aucun impôt au décès du propriétaire ou de son conjoint ne sera dû si les biens appartiennent à une fiducie familiale; la fiducie ne meurt pas avec le client. Ainsi, les impôts sont reportés soit lors de la vente des biens, soit à la disposition présumée de la fiducie (voir ci-dessous).

QUELQUES INCONVÉNIENTS

LA CONTAMINATION

Si une personne transfère un bien en faveur d’une fiducie pour laquelle elle est fiduciaire ou bénéficiaire, il devient impossible de fractionner les revenus provenant du bien transmis (sauf à l’auteur du transfert ou à son conjoint). Cette conséquence peut être assez limitée si le bien ne génère aucun revenu. Une autre répercussion d’un tel transfert est la perte du roulement de tous les actifs de la fiducie en faveur des bénéficiaires. Ainsi, bien qu’il n’y ait pas eu vente, la distribution du capital aux bénéficiaires entraînera l’imposition du gain en capital accumulé. L’administration de la fiducie requiert alors une grande vigilance.

LES ENFANTS MINEURS

Les lois fiscales québécoise et canadienne ne permettent pas le fractionnement de revenus avec des enfants mineurs, sauf si on utilise la déduction pour gain en capital d’un enfant mineur. L’une des règles fiscales prévoit que si des dividendes sont attribués directement ou par l’entremise d’une fiducie familiale à un mineur, les revenus sont imposés au taux maximum, peu importe le taux applicable à l’enfant.

LES PERSONNES IMPLIQUÉES

Le Code civil du Québec prévoit que le constituant ou un bénéficiaire d’une fiducie ne peuvent agir seuls en tant que fiduciaires : ils doivent l’administrer avec une personne dite indépendante. Pour certains propriétaires d’entreprise, c’est un inconvénient de taille, car cette personne aura accès à des informations financières. Certains ordres professionnels imposent une condition supplémentaire à la nomination du cofiduciaire. Par exemple, le règlement sur l’exercice de la profession de dentiste en société impose que le cofiduciaire soit un autre dentiste ou un membre de la famille.

Le choix des bénéficiaires a également son importance. Si un bénéficiaire de la fiducie familiale détient des actions d’une société privée, cette société privée et la société détenue par la fiducie pourraient être associées au sens fiscal. Par conséquent, les deux fiducies devront partager leur plafond des affaires[2].

LA DISPOSITION PRÉSUMÉE

Un des derniers inconvénients d’une fiducie familiale est sa disposition présumée tous les 21 ans. À cette échéance, la fiducie devra s’imposer sur le gain en capital accumulé sur chacun de ses actifs. Il est donc essentiel que le propriétaire d’entreprise communique avec son conseiller fiscal avant cette date pour revoir sa structure et éviter que la fiducie familiale ait à payer un impôt inutilement.

La planification fiscale impliquant une fiducie familiale n’est pas chose simple : de nombreux éléments font appel aux compétences de divers professionnels. Un propriétaire ne doit donc pas hésiter à recourir à ses conseillers, comptables, fiscalistes et juristes afin de maximiser ses avantages et d’éviter les pièges.

Julie Métiver

Julie Métivier, M. fisc, est notaire.

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Scott Grafton

Scott Grafton, CPA, CA, Pl. Fin., est associé chez Fauteux, Bruno, Bussière, Leewarden, CPA, s.e.n.c.r.l.


• Ce texte est paru dans l’édition de décembre 2014 de Conseiller.


[1] Une fiducie souscrira rarement à des actions avec droit de vote car, selon la structure de l’entreprise et la situation particulière de la société, advenant un changement de fiduciaire, la société subira un changement de contrôle, et des états financiers et déclarations fiscales devront être produits. De plus, le propriétaire d’entreprise conserve personnellement le contrôle de sa société, ce qui représente un avantage supplémentaire. [2] Les premiers 500 000 $ de revenus d’une société constituent le plafond des affaires, imposés à un taux de 19 % plutôt que de 26 %.

Julie Métivier et Scott Grafton