Tolérance au risque c. capacité à prendre des risques

1 juin 2014 | Dernière mise à jour le 1 juin 2014
6 minutes de lecture

La dernière décennie, avec ses deux corrections boursières, nous rappelle l’importance de la gestion du risque en matière de placement.

L’une des premières études portant sur le sujet est le classique de Brinson, Hood et Beebower (1) sur les facteurs déterminants de la performance d’un portefeuille. Ils en sont venus à cette célèbre conclusion selon laquelle la répartition des actifs explique 90 % de la variation des rendements et non du rendement réalisé. Depuis, beaucoup de progrès ont été réalisés et différentes méthodologies permettent d’obtenir une répartition d’actifs appropriée à l’investisseur. Cependant, la pratique nous montre que c’est en temps de forte turbulence sur des marchés baissiers que nous pouvons valider le niveau de risque acceptable de l’investisseur. Dans cette situation, une stratégie d’investissement trop vigoureuse peut potentiellement mener à une perte significative. Cela arrive principalement en deux occasions : lorsque je n’ai pas le bon profil d’investisseur ou lorsque sa capacité financière à prendre des risques est inférieure à son goût du risque (lequel est consigné dans son profil).

Traditionnellement, quand on veut déterminer la répartition des actifs d’un portefeuille, on se fie principalement au niveau de tolérance au risque de l’investisseur. L’ajout d’un facteur tel que la capacité financière de l’investisseur à prendre des risques nous apporte un éclairage additionnel, puisque certains investisseurs ont une tolérance au risque supérieure à leur capacité financière à supporter le risque. Lorsque les marchés boursiers sont frappés par une baisse sévère, la situation financière de ceux-ci peut grandement se détériorer avant même que leur tolérance au risque ne flanche.

L’analyse de la capacité de l’investisseur à prendre des risques prévient ce type de situation. Cette capacité est influencée par la totalité de son bilan personnel et son aptitude à générer des revenus. Le monde universitaire, de même que de nombreux professionnels, s’intéresse de plus en plus à ce sujet. La fondation pour la recherche de l’Institut CFA a notamment publié une monographie sur le sujet en 2007 : Lifetime Financial Advice, par P. Chen, R. Ibbotson, M. Milevsky et K. Zhu.

Cet ouvrage recense les différents éléments à prendre en compte pour une analyse complète, dont : la valeur nette, les revenus potentiels (travail), le besoin de liquidité et la situation économique.

LA VALEUR NETTE :

La relation entre la valeur marchande d’un portefeuille d’investissement et sa valeur nette est importante. Nous pouvons mesurer l’impact de la valeur nette en calculant le ratio suivant : valeur du portefeuille d’investissement/valeur nette Par exemple, l’investisseur A possède un portefeuille de placement de 800 000 $ et une valeur nette de 1 000 000 $. L’investisseur B a un portefeuille de placement de 200 000 $ et une valeur nette de 800 000 $. Le ratio du portefeuille de placement divisé par la valeur nette est de 80 % pour l’investisseur A et de 25 % pour l’investisseur B. La capacité à prendre des risques de l’investisseur A est différente de celle de l’investisseur B, étant donné que la majeure partie de la valeur nette du premier réside dans son portefeuille de placement.

Les deux investisseurs peuvent avoir des caractéristiques similaires (âge, horizon d’investissement et connaissances en finances) et ainsi obtenir le même profil d’investisseur. Cependant, leur capacité à prendre des risques n’est pas la même. L’impact d’une baisse sévère des marchés sera perçu différemment si 80 % de la valeur nette est affecté, contre seulement 25 %.

On retrouve généralement des ratios (valeur des placements/valeur nette) élevés lors de la vente d’une entreprise ou du décès du conjoint. La matérialisation d’actifs importants comme le prix de vente de l’entreprise ou la perception d’un capital-décès changent complètement la composition du bilan et ses ratios financiers.

LES REVENUS :

La source des revenus et leur constance influencent aussi la capacité à prendre des risques. Est-ce que les rendements générés par le portefeuille de placement sont la principale source de revenus de l’investisseur ? Quelle serait la conséquence de l’érosion du capital sur son niveau de vie ? Est-ce qu’il aura accès à d’autres sources de revenus advenant des baisses de marché ?

LE BESOIN DE LIQUIDITÉ :

Le besoin de liquidité est important dans le calcul de la capacité à prendre des risques. La réduction de l’horizon de placement des actifs en raison de la probabilité de retrait demande une nouvelle sélection d’actifs avec moins de volatilité.

LA SITUATION ÉCONOMIQUE :

La situation économique d’un investisseur influence directement sa capacité à prendre des risques. Les chercheurs associent cet élément au capital humain. La valeur du capital humain en termes d’actif financier est égale à la valeur actuelle de tous ses revenus et à l’épargne qu’il génèrera avec son emploi. Le niveau de risque varie par ailleurs selon la constance des revenus : la situation d’une personne qui travaille à commission sera plus risquée que celle d’une personne dont le salaire est fixe.

La même logique s’applique aux entrepreneurs. Le stade de développement de leur entreprise a un effet direct sur leur capacité à prendre des risques. L’actif qui a le potentiel de croissance le plus élevé pour l’entrepreneur est sa compagnie. Il n’est donc pas souhaitable d’augmenter le risque total de son bilan avec des stratégies de placement alors que son entreprise est en pleine croissance.

Le tableau suivant donne un aperçu de la capacité à prendre des risques en fonction du développement d’une entreprise.

Les zones bleues correspondent à des profils d’entrepreneurs qui voient le risque total de leur bilan augmenter, alors que leur capacité à supporter le risque le permet moins. Les conséquences peuvent être désastreuses lorsque l’entrepreneur traverse une crise de liquidité. Par exemple, s’il a besoin de fonds supplémentaires pour acquérir de la machinerie, racheter les parts d’un partenaire ou pour l’acquisition d’un bâtiment. Ses placements sont habituellement détenus par une compagnie de gestion. Ces fonds servent de mise de fonds dans le plan de financement du projet. Malheureusement, son profil d’investisseur ne tient pas compte de ces situations.

CONCLUSION Déterminer le profil de l’investisseur nous permet d’évaluer sa tolérance au risque. La combinaison de ce profil avec la capacité à prendre des risques précise le portrait de notre investisseur. Les éléments clés nécessaires à l’élaboration de sa capacité d’investissement sont la valeur nette, le revenu, le besoin de liquidité et sa situation économique.

La prochaine étape est d’établir des règles de répartition d’actifs en fonction de cette capacité. Par exemple, lorsque le ratio de la valeur totale des placements par rapport à la valeur nette dépasse 80 %, la répartition d’actifs sur les marchés boursiers devrait être d’un maximum de 50 %. Lorsque le rendement du portefeuille de placement est la principale source de revenus (plus de 50 % des revenus) pour la famille, la répartition d’actifs sur les marchés boursiers devrait atteindre, au maximum, 60 %.

Une stratégie de placement basée sur la tolérance au risque et la capacité à prendre des risques diversifie le risque total associé au bilan de l’investisseur. Elle permet de transférer le potentiel du capital humain en capital financier.

(1) Determinants of Portfolio Performance, 1986


Daniel Mercier, M. Sc., CFA, est directeur d’agence et représentant en épargne collective à Investia Sherbrooke/Appalaches.


• Ce texte est paru dans l’édition de juin 2014 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. • Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.