Nouvelle loi sur les compagnies du Québec: êtes-vous affectés?

14 février 2011 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
9 minutes de lecture

Le 14 février, un évènement important dans le domaine du droit des sociétés est survenu au Québec : la nouvelle Loi sur les sociétés par actions du Québec est entrée en vigueur. Cette dernière remplace complètement l’ancienne Loi sur les compagnies du Québec qui semblait quelque peu dépassée ces dernières années, comparativement à sa cousine fédérale. Cette réforme majeure de la Loi sur les compagnies du Québec était inévitable et nécessaire. Elle aura cependant plusieurs conséquences pour les détenteurs de ce type de compagnie. Voici pour le bénéfice des professionnels de l’assurance de dommages un portrait de quelques changements importants qui affecteront les actionnaires actuels d’une compagnie québécoise.

La transition Tout d’abord, il est important de mentionner que les compagnies présentement soumises à la Loi sur les compagnies du Québec, Partie 1A (LCQ) sont automatiquement soumises à la nouvelle Loi sur les sociétés par actions du Québec (LSA) et ce, sans aucune formalité. Par contre, cette nouvelle loi affectera, dès son entrée en vigueur, les règlements internes de la société et les conventions unanimes entre actionnaires de cette société. Les actionnaires des sociétés par action visées devront donc consulter leur conseiller juridique afin d’apporter les changements nécessaires au livre de la société quant à ses règlements internes, et de réviser les conventions unanimes établies entre les actionnaires. À noter, le terme « compagnie » ne fera plus partie du vocabulaire utilisé par le législateur puisqu’il est remplacé, par souci d’uniformité, par le terme « société ».

Conservation du livre de société La LSA autorise les dirigeants à conserver leur livre de société à l’extérieur du siège de cette dernière alors qu’auparavant, le livre devait être obligatoirement conservé à son siège social. Cette modification permettra aux professionnels œuvrant dans les domaines des corporations et dans le domaine fiscal de conserver ces livres à leur bureau. Dans le même ordre d’idées, les dirigeants soucieux de conserver leur livre en toute sécurité pourraient dorénavant choisir de le déposer dans le coffret de sécurité d’une institution financière, en toute légalité.

Émission des actions au moment de la constitution en société incorporée Plusieurs modifications à la LSA touchent les actions et leur émission. En effet, au moment de son organisation juridique, la société n’est plus dans l’obligation d’émettre des actions, ce qui était pourtant le cas en vertu de la LCQ. Par ailleurs, l’émission d’actions ne nécessite plus la délivrance d’un certificat d’action, dans la mesure où une telle situation est prévue aux statuts de la société. Cela signifie donc que la preuve de la qualité d’actionnaire relève de la seule inscription de ces actions, au nom de l’actionnaire, dans le registre des valeurs mobilières de la société. Nous verrons donc dorénavant des sociétés qui n’auront aucun actionnaire au moment de leur constitution, et d’autres dont les actionnaires ne détiendront aucun certificat. En pratique, cette situation pourrait entraîner des difficultés dans le cas où un actionnaire doit faire la preuve de son titre de propriété auprès d’une institution financière ou d’un tiers, par exemple.

Émission d’actions « fort-faible » La LSA permet aussi l’émission d’actions « fort-faible » (high low) sans valeur nominale entre personnes avec ou sans lien de dépendance . Cette modification pourrait s’avérer fort utile pour certains types de planification utilisée par les fiscalistes, puisque la loi actuelle exige la présence d’un tel lien de dépendance entre les parties .

Acquisition d’actions par la société même La société constituée en vertu de la LSA devra dorénavant donner à ses actionnaires un avis préalable d’au moins 30 jours lorsqu’elle acquerra certaines de ses propres actions . Cette modification pourrait retarder la réorganisation de certaines corporations, puisqu’elle exige la production de certains documents supplémentaires.

Le test financier et le test comptable La LCQ exigeait l’application du « test financier » et du « test comptable » avant que la société puisse procéder à tout versement de dividende  ou à tout rachat d’action. Le test comptable a maintenant été aboli dans la LSA, et seul le « test financier » devra être respecté avant que tout versement de dividende ou paiement d’action. Cependant, la loi prévoit un « test de rachat » stipulant que la société ne pourra procéder à un rachat d’actions dans la mesure où ce dernier la rendrait incapable, en cas de liquidation, de verser la somme nécessaire au paiement des actions prioritaires ou concurrentes à celles faisant l’objet du rachat .

L’absence d’un administrateur à une réunion du CA Un autre changement important concerne l’absence d’un administrateur à une réunion du conseil d’administration. Sous l’ancienne loi, un administrateur absent à une réunion du conseil d’administration était réputé ne pas avoir approuvé la résolution adoptée. En vertu du nouveau régime, la situation est totalement opposée puisque l’administrateur absent sera réputé avoir acquiescé à la résolution adoptée, à moins qu’il transmette au président et au secrétaire de la réunion un avis contraire dans les sept jours suivant la réunion .

Les assemblées annuelles En vertu de la LSA, la première assemblée annuelle de la société devra être obligatoirement tenue dans les 18 mois suivant la constitution de cette dernière. Les assemblées annuelles subséquentes devront être tenues dans les 15 mois suivant l’assemblée précédente, mais au plus tard dans les six mois suivant la fin de l’exercice financier de la société . L’actionnaire empêché de se rendre à une assemblée des actionnaires pourra toujours fournir une procuration à un fondé de pouvoir qui pourra voter en son nom à l’assemblée. Cette procuration sera caduque après 1 an, sauf disposition contraire .

Droit de vote exceptionnel La LSA prévoit un droit de vote exceptionnel  dont peut se prévaloir un actionnaire lorsqu’une résolution spéciale s’applique à l’un ou l’autre des cas suivants :

  • une situation met fin à l’égalité entre les actionnaires d’une même catégorie;
  • une situation porte atteinte aux droits des actionnaires d’une même catégorie considérés dans leur ensemble;
  • une modification doit être apportée aux statuts, autorisant le conseil d’administration à porter atteinte aux droits des actionnaires d’une même catégorie considérés dans leur ensemble.

Ces situations entraînent donc le droit de vote par catégorie, ce qui inclut dorénavant les actionnaires qui n’ont généralement pas le droit de vote.

Dispositions spéciales d’une société à actionnaire unique La LSA renferme quelques modifications qui facilitent la gestion d’une société par actions comptant un seul actionnaire. En effet, la LSA autorise l’actionnaire unique d’une société à :

  • ne pas constituer de conseil d’administration (c.a.);
  • ne pas nommer de vérificateur;
  • ne pas adopter de règlement intérieur;
  • ne pas tenir d’assemblée d’actionnaires annuelle;
  • ne pas tenir d’assemblée du c.a.

Par ailleurs, tout acte posé par l’actionnaire unique au nom de la société sera réputé autorisé. Bien que ces modifications semblent efficaces et donnent lieu de croire qu’elles simplifient la situation, nous pouvons douter de leur application au quotidien. En effet, nous pouvons nous demander si les autorités concernées respecteront ces règles ou s’ils continueront de demander des résolutions dans ces situations !

Droit au rachat d’actions d’un actionnaire En vertu de la LSA, un actionnaire peut exiger le rachat de la totalité de ses actions s’il émet un vote d’opposition dans les situations énumérées ci-après. Ces dispositions visent particulièrement la protection des actionnaires minoritaires  :

  • la résolution ordinaire autorisant la société à procéder à une expulsion d’actionnaires ;
  • la résolution spéciale autorisant la modification des statuts afin qu’on puisse ajouter, modifier ou supprimer une restriction aux activités de la société ou au transfert de celle-ci;
  • la résolution spéciale autorisant une aliénation de biens de la société lorsque, par suite de cette aliénation, la société ne peut poursuivre des activités substantielles;
  • la résolution spéciale autorisant la société à permettre l’aliénation des biens de sa filiale;
  • la résolution spéciale approuvant une convention de fusion;
  • la résolution spéciale autorisant la continuation d’une société sous le régime de la loi d’une autre autorité législative que le Québec;
  • la résolution annulant le consentement à la dissolution de la société lorsque, par suite de l’aliénation de ses biens entreprise au cours de sa liquidation, la société ne peut poursuivre des activités substantielles.
  • l’actionnaire qui détient des actions sans droit de vote pourra de la même façon exiger le rachat de la totalité de ses actions, sauf dans les cas d’adoption des résolutions concernant l’expulsion d’un actionnaire ou la modification des statuts.

Il faut noter toutefois que l’avis de convocation d’une assemblée où un vote sera pris sur une décision doit mentionner le droit au rachat, que l’actionnaire doit informer la société qu’il entend exercer son droit de rachat avant la tenue du vote et que ce droit de rachat est conditionnel à ce que la société réalise effectivement ses résolutions . Afin de donner plein effet à ce droit de rachat et à son paiement, certains autres délais et procédures donnant sont aussi prévus à la Loi, aux articles 377 et suivants.

Les « Conventions unanimes entre actionnaires » La convention unanime des actionnaires est celle qui, sans être signée nécessairement par tous les actionnaires d’une société, retire certains pouvoirs au conseil d’administration ou les restreint, afin que ces pouvoirs soient exercés par les actionnaires. Les dispositions de la nouvelle loi en matière de convention unanime d’actionnaires s’apparenteront à celles de la loi fédérale, permettant ainsi non seulement de retirer, mais également de restreindre les pouvoirs des administrateurs et de conclure une telle convention avec un tiers. De plus, dans un tel cas, les actionnaires pourront choisir de ne pas avoir de conseil d’administration. La présence ou la terminaison d’une convention unanime d’actionnaires, ainsi que le nom et le domicile de ceux qui assument ces pouvoirs, devront dorénavant être signalés au Registraire des entreprises du Québec.

Vue d’ensemble En résumé, voici ce que la nouvelle loi offrira :

  • Une meilleure protection des actionnaires minoritaires :
  • Un actionnaire minoritaire en désaccord avec un changement majeur apporté à la structure ou aux activités de la société pourra exiger le rachat de ses actions.
  • Les actionnaires auront de nouveaux recours en cas d’abus ou d’iniquité.
  • De nouvelles règles de gouvernance :
    • Un administrateur pourra présenter une défense de diligence raisonnable à l’égard des gestes posés de bonne foi dans le cadre de ses fonctions.
    • Les administrateurs ne sont pas assujettis à une exigence de résidence canadienne, alors que les sociétés fédérales doivent compter au moins 25 % d’administrateurs qui soient résidants canadiens .
  • Une simplification administrative :
    • Les règles relatives à la convention unanime des actionnaires ont été clarifiées.
    • Une société constituée dans une autre juridiction pourra continuer son existence en vertu de la nouvelle loi.
    • Une société québécoise pourra continuer son existence dans une autre juridiction.
    • Les tests de solvabilité et de liquidité quant à l’octroi d’une aide financière aux actionnaires ne sont plus exigés.
    • Certains tests financiers, autrefois exigés lors du versement de dividendes et du rachat d’actions, ont été abolis.
    • On n’exige plus la tenue d’assemblées annuelles ni la nomination d’un vérificateur pour les entreprises à actionnaire unique.
    • « L’inceste » sera permis, c’est-à-dire qu’une société pourra détenir pour une période de 30 jours les actions de sa personne morale mère, ou que ses propres actions pourront être détenues par une ou plusieurs de ses filiales. Cette nouveauté permettra une grande flexibilité lors de la réorganisation des corporations.

Me Odile St-Hilaire est notaire et fiscaliste au Groupe Conscia. Michel Lessard est fiscaliste, assureur vie agréé et Pl. Fin. au Groupe Conscia. Ce texte a été produit avec la collaboration spéciale de Maxime Robert, stagiaire en notariat et fiscaliste au Groupe Conscia.