Accueil Breadcrumb caret Conseiller PME Breadcrumb caret Nouvelles L’affaire Jean Coutu changera-t-elle le visage du franchisage? Fort possible, soutient notre blogueur François Alepin. Par François Alepin | 17 février 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023 5 minutes de lecture George Tsartsianidis / 123RF La jurisprudence concernant le franchisage a connu son lot de rebondissements en 2016. L’année s’est d’ailleurs terminée par un jugement qui pourrait changer la donne en matière de redevances envers le franchiseur lorsque le franchisé est un professionnel. Rappelons que la relation franchiseur-franchisé est une relation contractuelle dans laquelle le franchiseur met à la disposition du franchisé, moyennant une contrepartie, tout son savoir-faire, ses recettes, sa liste de fournisseurs et, dernier élément mais non le moindre, sa bannière, son image de marque et ses stratégies de marketing. En contrepartie, le franchisé verse la plupart du temps un droit initial, payable à la signature du contrat, et des redevances, généralement un pourcentage des revenus bruts. Les redevances, le nœud du problème Le 29 décembre dernier, la juge Michèle Monast a fait un beau cadeau de Noël au Groupe Jean Coutu : une décision[1] dans laquelle elle confirmait la légalité de la clause de redevance des contrats de franchise de l’entreprise. Elle devait trancher la question suivante : est-il légal de prévoir une clause de redevance obligeant un pharmacien à verser un pourcentage de ses revenus bruts provenant de la vente de médicaments? On pourrait croire que la liberté contractuelle qui sous-tend notre régime de droit civil devrait le permettre. Or, la juge a dû déterminer si cette clause entrait en contravention avec l’ordre public, et se prononcer sur la validité d’un article du Code de déontologie des pharmaciens, qui stipule qu’un pharmacien ne peut partager ses honoraires ou les bénéfices provenant de la vente des médicaments avec un non-pharmacien. Cette décision pourrait influencer le monde du franchisage dans son ensemble. La genèse du litige Michel Quesnel, demandeur dans le présent litige, est pharmacien franchisé de Jean Coutu depuis 1988. En 2008, le syndic de l’Ordre des pharmaciens dépose des plaintes contre M. Quesnel, alléguant qu’il a illégalement partagé ses honoraires avec un non-pharmacien, le tout en se basant sur sa convention de franchise. La juge rapporte dans sa décision que M. Quesnel a plaidé coupable dans le but d’obtenir une réduction des sanctions et éviter une radiation éventuelle de son ordre professionnel. Toutefois, outre son plaidoyer de culpabilité, il a également intenté des procédures contre Groupe Jean Coutu dans le but de faire déclarer la fameuse clause illégale, d’interdire à Groupe Jean Coutu d’exiger une telle redevance sur les revenus bruts tirés des ventes de médicaments et, finalement, d’obtenir le remboursement des redevances qu’il avait versées à ce jour. Groupe Jean Coutu s’est bien sûr défendu et a, de son côté, demandé à ce que le tribunal déclare la clause de redevances légale. Pourquoi donner raison à Jean Coutu? Dans sa décision, la juge explique que l’article du Code de déontologie des pharmaciens concerné par ce litige en est un d’ordre public, c’est-à-dire qu’aucune dérogation n’est possible. Interdire aux pharmaciens de partager les bénéfices provenant de la vente de médicaments a pour but d’empêcher toute personne qui n’est pas membre de l’Ordre des pharmaciens de détenir et opérer une pharmacie. Cela permet de protéger l’intégrité de la profession et le public. De nombreuses autres professions, notamment celle des avocats, sont soumises à un article similaire de par leur code de déontologie respectif. Même s’ils ne font pas partie d’un ordre professionnel à proprement parler, les conseillers en services financiers ont aussi cette obligation. Cette disposition ne peut être interprétée de façon stricte, puisque cela entraînerait des résultats absurdes. Par exemple, un pharmacien peut payer son loyer à un non-pharmacien à partir des revenus qu’il perçoit de la vente de médicaments, ce qui ne constitue pas un partage illégal au sens du code de déontologie. C’est à partir de ce raisonnement que la juge Michèle Monast a conclu que la clause de redevances des contrats de franchise du Groupe Jean Coutu n’était pas illégale. Selon elle, le pourcentage des revenus bruts demandé par le franchiseur constitue une contrepartie raisonnable aux nombreux services qu’il offre à ses franchisés. Ainsi, au même titre que le paiement d’une facture d’électricité, le paiement des redevances au franchiseur est une dépense faite par le franchisé pour exploiter son entreprise. Il est d’ailleurs intéressant de noter, tel que la juge Monast le fait remarquer dans son jugement, que le code de déontologie interdit le partage des bénéfices plutôt que des revenus. Les bénéfices correspondent au gain d’une entreprise, soit les revenus bruts moins les dépenses, alors que les revenus correspondent au montant total gagné à partir de l’exploitation de l’entreprise. Ceci montre donc de nouveau que l’objectif de l’article est plutôt d’interdire à un non-pharmacien de profiter de la vente de médicaments, plutôt que d’interdire à un pharmacien de payer certaines dépenses d’exploitation. Ce n’est pas fini… Cette nouvelle décision vient appuyer un courant jurisprudentiel sur la question. Il est clair que dans le monde du franchisage, il est possible pour un professionnel de payer des redevances à son franchiseur, à condition que ces redevances représentent une juste contrepartie pour les services fournis dans le cadre de la franchise. Le débat n’est cependant pas clos dans le cas des pharmaciens. L’association Sopropharm, regroupant de nombreux pharmaciens franchisés Jean Coutu, intentait l’été dernier un recours collectif contre le franchiseur. Le groupe allègue que les redevances payées à Jean Coutu sont plus élevées que la juste valeur marchande des services rendus en contrepartie. Une affaire dont les développements seront donc à suivre! Avec la collaboration de Me Florence Derouet, avocate. Ce billet contient de l’information juridique d’ordre général et ne devrait pas remplacer un conseil juridique auprès d’un avocat, qui tiendra compte des particularités de la situation de votre client. [1] Quesnel c. Groupe Jean Coutu (PJC) inc., 2016 QCCS 6347 François Alepin Sauvegarder Stroke 1 Imprimer Group 8 Partager LI logo