Éthique du conseil en placements

Par Bernard Viau | 10 octobre 2022 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
7 minutes de lecture

Le premier article de cette série a montré qu’on peut frauder des clients tout en respectant la conformité.  Nous avons ensuite abordé le sujet de l’éthique et de la déontologie dans le domaine de l’assurance, au tour maintenant des placements, en épargne collective et alors en valeurs mobilières.  Pour frauder en assurance, il faut jouer sur la peur de quelque chose, mais avec les placements c’est l’opposé. Il ne faut pas que votre client ait peur. Le conseiller devra donc insister sur la sécurité du capital, mais tout en faisant miroiter un profit supérieur.

Distinguons fautes et fraudes en déontologie. Les fraudes en placements sont nombreuses, mais la plupart du temps elles concernent les institutions qui offrent des produits financiers. Avec la fraude internationale dont je vous ai parlé, les employés subalternes n’étaient au courant de rien, comme ce fut le cas des conseillers de Vincent Lacroix au Québec.

Les fautes déontologiques avec les placements nous affectent plus souvent. Cependant il faut dire que ces fautes sont généralement causées par un manque de professionnalisme plutôt que par une réelle intention frauduleuse. Si vous lisez les avis d’inconduite de la Chambre de sécurité financière (CSF), sur le site de SOQUIJ, les fraudeurs imitent une signature, prennent ou transfèrent des fonds sans informer leur client ou font d’autres actes du même genre. Les fautes, quant à elles, tournent souvent autour du fait de ne pas suggérer des fonds dont le risque convient au profil d’investisseur ou d’oublier de mentionner les frais administratifs plus ou moins cachés à l’achat des placements choisis.

Avez-vous déjà lu le code de déontologie de la CSF ?  Vous y trouverez un tas de qualités requises du conseiller, mais aussi deux points très pertinents à mon avis : l’éducation des clients et l’évaluation périodique des portefeuilles.

Lors de ma formation, on nous dit de ne pas jouer au professeur avec mes clients. Lors des conférences maison sur l’économie dans ma succursale, on insistait sur le fait qu’il ne faut pas essayer de suivre les marchés boursiers. Un bon conseiller en placements doit laisser les experts de son siège social se charger du suivi des placements. Ne sommes-nous que des vendeurs ?  Malheureusement oui, car notre rémunération est basée uniquement sur nos chiffres de vente.  L’article suivant proposait une alternative.

LA MÈRE DE TOUTES LES FRAUDES

La majorité des fautes auxquelles un conseiller en placement s’expose proviennent des modalités du calcul des commissions et il y a des différences importantes, au niveau des commissions, entre les conseillers en placements et les conseillers en valeurs mobilières.

Pour les conseillers en valeurs mobilières, les nouvelles émissions d’actions et les sociétés en commandite sont les produits qui donnent les commissions les plus élevées. Les abris fiscaux les plus intéressants sont souvent vendus d’avance aux clients les plus fortunés et réservés aux conseillers vedettes. Cela laisse les abris fiscaux plus risqués aux jeunes conseillers. Que peut-on y faire ? La question est difficile à répondre sur le plan de l’éthique.

DEUX CONSÉQUENCES PRATIQUES

Pour s’éviter des fautes déontologiques, il faut se concentrer sur deux choses : la prospection et le suivi des placements. Cela est particulièrement important pour les conseillers juniors qui n’ont pas encore la sécurité de revenu qu’un gros livre de clients apporte. Votre première ligne de défense contre les fautes déontologiques donc est une prospection constante.

Votre deuxième ligne de défense  est le suivi des placements. Si vous faites un véritable suivi des placements pour vos clients, ils vous resteront fidèles, vous transféreront des avoirs et vous recommanderont des confrères. Plus de clients, moins de pression et donc moins de fautes possibles.

La majorité des conseillers que j’ai connus en assurance ou en placements ne suivent pas les placements de leurs clients par manque d’expérience des marchés financiers. Les seuls conseillers qui le font sont en valeurs mobilières.

IMPORTANCE D’UN VRAI SUIVI DES PLACEMENTS

Tous les conseillers qui parlent de placements sont loin d’être égaux.  Si vous travaillez comme conseiller en assurance ou sécurité financière, vous partez de loin.  Bien sûr, vous assistez chaque année à des séminaires donnés par les gestionnaires de placements de votre siège social, mais c’est insuffisant pour vous donner confiance en votre jugement.

Si vous travaillez comme conseiller en fonds de placement ou en épargne collective, vous êtes déjà beaucoup mieux outillé. Les réunions où l’on parle des marchés boursiers sont mensuelles.  Si vous travaillez comme conseiller en valeurs mobilières, vous seuls connaissez les tendances du marché au jour le jour, car vous avez des réunions quotidiennes.

Parlons d’une réalité que vous connaissez bien. Très peu de clients comprennent assez bien les placements pour tenir avec vous une conversation sensée sur le sujet.  Vous devez donc faire une certaine formation pour vos clients. Vous rencontrez un client pour ses placements, son profil d’investisseur suggère 60% en obligations et 40% en actions, il signe tous les formulaires, vous faites les placements puis vous fermez le dossier. Et le suivi ? Une fois par année, vous allez appeler vos clients pour ajouter une contribution annuelle au REER. Quatre fois par année, vous serez crédité des frais de suivi sur le capital géré dans votre livre et, à votre retraite, vous pourrez vendre vos clients en vous basant sur la valeur annuelle des commissions de suivi. Il s’agit ici d’un problème général de la profession. Les conseillers sont payés pour quelque chose qu’ils ne font pas.

Oubliez les directives des experts du siège social.  Ce n’est pas eux que vos clients appelleront en cas de problèmes, c’est vous. Voici une méthode pour faire un suivi des placements. Cette méthode est adaptée à la réalité concrète des conseillers en placements comme en assurance. Voici les étapes.

Première étape, évaluez plus en profondeur la situation financière de vos clients lors de la première rencontre. Un profil d’investisseur est plus qu’une case à cocher dans le formulaire d’ouverture du compte. Cet article[1] vous fournira d’autres questions pertinentes. Il faut se mettre dans la peau de votre client, au sens psychologique du terme.

Deuxième étape, formez vos clients à gérer leur épargne. Vous devez les convaincre d’investir systématiquement un montant fixe dans leur compte. Pourquoi ? L’épargne régulière est absolument essentielle, car elle prépare mentalement votre client aux aléas des marchés financiers. Je parle toujours d’épargne avec mes clients, même en assurance, spécialement s’ils ont des enfants. J’ai aussi acheté des tirelires en cadeau pour certains enfants de mes clients. Inutile de vous dire la confiance qu’ils avaient en moi.

Troisième étape, étudiez les produits financiers auxquels vous avez accès.  Ce n’est pas nécessaire d’avoir accès au courtage.  Trop de choix n’est pas mieux.  La majorité des institutions financières offrent une bonne gamme de fonds de placement.  Les fonds essentiels pour un portefeuille sont : un fond d’obligations, un fonds de dividendes canadiens, un fonds d’actions (surtout de blue chips), plus un ou deux fonds spécialisés.

Quatrième étape,put your money where your mouth is. Traduction, Joignez l’acte à la parole. Qui gère actuellement vos propres placements, votre REER, votre CELI ? Vous, ou les experts de votre siège social ? Croyez-vous qu’un gestionnaire du fonds Dividendes canadien suivra les portefeuilles de vos clients ? Il ne les connaît même pas. Le seul intermédiaire de votre client, c’est vous.

La réalité est cependant que les institutions financières n’encouragent absolument pas leurs conseillers à faire le suivi des placements. On ira même jusqu’à vous l’interdire et la chose m’est arrivée lorsque je vendais des fonds de placement.

Tous les conseillers payés avec des commissions ressentent le stress des fins de trimestre. Si vous voulez diminuer ce stress financier, apprenez à faire le suivi de vos propres placements, encouragez vos clients à déposer mensuellement de l’argent dans leur portefeuille, éduquez-les avec des lettres d’investissement trimestrielles et communiquez avec eux régulièrement.

UNE ÉTHIQUE DIFFÉRENTE POUR LES PLACEMENTS

En terminant, je voudrais aborder un sujet délicat et très à propos, la finance islamique. La Charia est un sujet délicat dans une discussion financière à cause des préjugés sur l’Islam. La vision de l’éthique pour l’Islam ajoute à la liste des infractions financières de l’Autorité des marchés financiers : l’usure, le paiement d’intérêts, les prêts sur gage, le jeu et la spéculation boursière. L’éthique et la déontologie sont au centre de toute la finance pour l’Islam. Si vous avez des clients musulmans pratiquants et que vous voulez gagner leur confiance, il faudra respecter certaines règles édictées par la Charia[2]. Vous n’avez pas besoin d’être vous-même musulman pour gagner la confiance, mais vous devrez connaître leur éthique pour parler de placements.

Lors d’un éventuel congrès d’assurance, les organisateurs sauront-ils braver nos préjugés culturels et inclure la finance islamique dans les discussions sur l’éthique ? Je le souhaite.

 

[1]   « Le profil d’investisseur revisité », paru en 2019, explique pourquoi il devrait être utilisé par les institutions financières et par les conseillers.

[2]   Le site https://www.financeislamique.com/ vous permettra de comprendre la conformité financière pour l’Islam.

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