Portrait-robot de la main invisible mondiale : 6 000 super riches

1 mai 2008 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Notre monde contemporain serait contrôlé par une oligarchie mondiale de 6000 personnes. Leur influence, leur richesse et leur pouvoir manipulent l’évolution de la finance et du commerce internationaux.

Ces super riches forment un club privé mondial qui tire les ficelles mondiales, par dessus la tête des gouvernements nationaux, avance David Rothkopf, dans son nouvel ouvrage «Superclass: The Global Power Elite and the World They Are Making» (La superclasse: la puissante élite mondiale et le monde qu’elle façonne.)

De passage à Toronto, David Rothkopf, président du cabinet-conseil Garten Rothkopf à Washington, économiste et journaliste de formation, ancien sous-secrétaire adjoint au commerce du gouvernement Clinton, a répondu aux questions de Conseiller.ca.

David Rothkopf a rencontré près de 150 personnes au cours de 2006 et 2007 pour dresser ce portrait-robot de la main invisible mondiale qui téléguide la mondialisation, comme une marionnette manipulée au bout de ses fils.

La crise financières aux États-UnisLes conséquences sur le monde de cette concentration à outrance du pouvoir et de la richesse sont multiples. La récente crise financière aux États-Unis n’en serait qu’une manifestation. David Rothkopf incrimine au passage l’auto-réglementation des marchés pour expliquer ce naufrage.

«Les 50 plus grosses institutions financières dans le monde contrôlent près de 50 billions («trillions») d’actifs. Cela représente un tiers des actifs mondiaux aux mains de 50 entreprises», rappelle l’auteur qui souligne que cette concentration des richesses n’a d’égal que la multiplication de produits financiers hautement sophistiqués, mais parfois trop abstraits.

«Il y a 30 à 40 billions de dollars de produits dérivés dont nous ne savons pas où réside le risque connexe.» Cette absence de connaissance du risque final est la cause de l’effondrement des titres adossés à des créances hypothécaires commerciales (TACHC). «La plupart [des acteurs] espéraient pouvoir se défausser avant tout le monde», selon David Rothkopf.

Autrement dit, tout le monde savait que la maison risquait de brûler, mais chacun espérait pouvoir en sortir avant les autres, dès que cela commencerait à sentir le roussi.L’ironie, rappelle David Rothkopf, est que le secteur privé, après avoir joué avec le feu, ait appelé le secteur public pour jouer les pompiers à coups de milliards, pour tenter de circonscrire le sinistre avant qu’il ne se répande trop loin.

L’auteur rappelle au passage que les institutions financières qui avaient perdu de vue la nature du risque de leurs placements jouaient avec la Loi. «Elles plaident que le risque n’était pas identifiable. C’était illégal en fait, car l’obligation fondamentale en termes réglementaires de ces institutions financières est que leur conseil d’administration doit comprendre quel est le risque sous-jacent.»

Absence de règles du jeuVivons-nous alors dans un monde qui ressemblerait à un jeu de football sans arbitre?Une minorité d’institutions financières jouent entre elles; le reste d’entre nous, y compris les gouvernements, sont assis dans les gradins à les contempler sur le terrain, acquiesce David Rothkopf en précisant: «Le pire, c’est que les joueurs eux-mêmes ne connaissent pas les règles!»Au bout du compte, David Rothkopf remet en question la «securitization» du monde, autrement dit, la création de valeurs mobilières à outrance.Il point d’ailleurs du doigt la flambée des prix du pétrole, qui serait davantage due à la spéculation, les capitaux fuyant les titres boursiers à l’approche de l’incendie des TACHC (une crise financière sans précédent depuis celle de 1929, aux dires du Fonds mondial international lui-même, selon l’auteur).

Pétrole et dollar USCôté devises, le billet vert devrait continuer sa dégringolade, prédit David Rothkopf, en raison de l’endettement américain, un gouffre étourdissant de « 3 billions de dollars ». «Les Américains vont devoir combler leur dette. La solution classique consiste à dévaluer la devise.» D’où la fuite des marchés qui délaissent cette monnaie, qui baisse.Au bout du compte, la seule assurance devant ce «fondamentalisme de la loi du marché» serait une gouvernance mondiale plus forte, même si les acteurs du marché se déplacent sans cesse vers les juridictions les plus généreuses.

Gouvernance mondialeUn gouvernement mondial n’est évidemment pas plausible, concède David Rothkopf. Mais une organisation mondiale du commerce plus forte mais plus transparente pourrait contribuer à assainir les rouages internationaux. Et qui sait, éviter d’assister à rééquilibrage violent de cette concentration de la richesse mondiale, les révolutions: l’opulence des souverains et des aristocrates qui a cédé face à la profonde pauvreté des peuples qui se sont soulevés.David Rathkopf rappelle d’ailleurs dans son livre que «1 100 millionnaires ont une valeur nette réelle qui correspond pratiquement au double de celle 2,5 milliards d’humains les moins nantis sur terre. Il n’est donc pas surprenant qu’un retour de flammes soit dans l’air.» La crise des cours des denrées alimentaires seraient-elle l’étincelle qui pourrait mettre le feu aux poudres?

Conseil aux conseillersDans ce contexte de mondialisation qui s’emballe, fouettée par une minorité de superpuissants qui savent comment chevaucher cette folle cavalcade, que devraient alors faire les conseillers financiers au détail (dont même les clients dits fortunés ne sont guère que de petits buissons dans la jungle mondiale, face aux 6 000 arbres immenses qui culminent et aux autres quelque 90 000 «ultra riches» en dessous d’eux.)

« Soyez conscients du risque de vos placements et ne vous aventurez pas dans des produits trop sophistiqués. Restez dans des fonds de placement», recommande David Rathkopf.

«Superclass: The Global Power Elite and the World They Are Making», David Rathkopf, Viking Canada, Mars 2008, 352 pages, 34 $., cliquez ici

PodCast, David Rathkopf (59 minutes), cliquez ici