Quand le fisc assassine les entrepreneurs

22 mai 2014 | Dernière mise à jour le 22 mai 2014
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Depuis quelques années, Revenu Québec serre la vis des contribuables « à risque ». Ainsi, les restaurateurs sont passés à la moulinette de l’ARQ, de même que les entrepreneurs en construction et bien d’autres. Personne ne se plaindra de la récupération de sommes dues au gouvernement, mais il y a d’importants dommages collatéraux…

Les amis indispensables que sont les fiscalistes vivent des moments difficiles depuis quelques années. Dans les coulisses des colloques ou congrès de l’Association de planification fiscale et financière (APFF) comme aux cours de Mise à jour en fiscalité du CQFF, on en parle avec dépit. Il existe actuellement une véritable omerta parmi les spécialistes en fiscalité au sujet de vérifications fiscales abusives dont sont l’objet de plus en plus de contribuables honnêtes de la part d’agents de Revenu Québec. Il est peut-être temps pour les conseillers qui ont des clients propriétaires ou dirigeants de PME de faire front commun avec eux.

Le CQFF, dirigé par notre chroniqueur fiscaliste Yves Chartrand, a collaboré à une campagne de financement pour aider l’entrepreneur Gilles Picotte, injustement accusé d’évasion fiscale par Revenu Québec parce que les sous-traitants avec qui il a fait affaire n’ont pas déclaré leurs revenus. Même si la Cour du Québec a donné raison à l’entrepreneur en octobre dernier, le fisc a décidé d’aller en appel. M. Picotte et sa famille sont littéralement au bord du gouffre financier parce que le fisc a gelé leurs avoirs et pris des hypothèques légales sur leurs immeubles. Le CQFF a donc invité la communauté de comptables, de fiscalistes et de conseillers financiers à aider M. Picotte à couvrir ses frais judiciaires. À ce jour, plus de 30 000 $ ont été amassés par le CQFF pour lui permettre de se présenter en cour d’appel. Il faut également noter que les honoraires d’avocat sont entièrement à la charge de Me Caroline Desrosiers, qui assure la défense de M. Picotte depuis près de deux ans. C’est d’ailleurs pour soutenir l’initiative de l’avocate spécialisée en litige fiscal que le CQFF l’a appuyé avec sa collecte de fonds.

Depuis l’an dernier, les causes impliquant l’ARQ se suivent dans les palais de justice et se ressemblent. Que ce soit le jugement de l’affaire Enico, qui a condamné Revenu Québec à verser près de 4 millions de dollars à son propriétaire Jean-Yves Archambeault, ou l’affaire Salaison Levesque, où Revenu Québec a été débouté par la Cour canadienne de l’impôt, un fait demeure : les conseillers en fiscalité assistent régulièrement à des abus des autorités fiscales qu’ils ne peuvent dénoncer de crainte de nuire à leurs clients. C’est pour lever le voile sur les pratiques douteuses des collecteurs d’impôt que Me Paul Ryan, avocat spécialisé en litige fiscal, a lancé son pamphlet Quand le fisc attaque. Mais, de toute évidence, la grosse machine ne s’arrête pas pour si peu. Revenu Québec compte quelque 4 700 fonctionnaires, soit 1 000 de plus qu’en 2009. L’an passé, le fisc a haussé son objectif de récupération à 100 % de plus qu’il y a 6 ans, soit 3,5 milliards de dollars. On devrait se réjouir? Pas si vite. Depuis les trois dernières années, on a noté au Protecteur du citoyen une hausse de 37 % des plaintes fondées contre Revenu Québec. Malgré les réprimandes de l’organisme dans son rapport annuel l’an dernier, le fisc n’a pas dérogé à ses décisions déraisonnables. En 2012, Revenu Québec a cotisé 83 000 entrepreneurs pour la somme de 1,4 milliard de dollars, soit une moyenne de 17 000 $ par avis de cotisation.

« Il y a un acharnement avec les vérifications fiscales qui ressemble de plus en plus à une arnaque », dénonce Yves Chartrand. On fait perdre un temps énorme aux entrepreneurs qui encourent toutes sortes de frais par la suite. Si un entrepreneur se rebiffe, conteste, les frais explosent et le fisc, dont les moyens sont démesurés, accule à la faillite ceux qu’il juge récalcitrants. Yves Ouellette, associé au cabinet d’avocats Gowlings, à Montréal, expert dans le domaine du litige fiscal, a travaillé plus de 19 ans comme directeur des services juridiques de l’ARQ. Il déclarait, dans une entrevue donnée aux confrères de La Presse en mars 2012 : « Revenu Québec est prête à émettre des avis de cotisation arbitraires, abusifs, sans fondement, et qui obligent les contribuables à encourir des frais élevés d’avocat et de comptable afin d’obtenir justice. »

La question que tous se posent est : pourquoi le gouvernement laisse-t-il pourrir une telle situation qui met en péril la confiance des contribuables dans les institutions publiques? Et pire encore : qui mine l’esprit d’entrepreneuriat des citoyens? Si l’on est conscient que les PME sont un des poumons de l’économie, on se demande si le gouvernement est conscient de sa propre bêtise.

Au cours des prochaines années, des dizaines de milliers d’entreprises changeront de mains. Vous devrez prévoir avec vos clients des stratégies de transfert uniques pour chaque cas. À cela, faudra-t-il ajouter des réserves extraordinaires en capital pour des contestations éventuelles auprès du fisc? Il est anormal dans une démocratie que les PME doivent prévoir des réserves de cette nature plutôt que d’investir dans la recherche et le développement.

Le mot de la fin revient à la dirigeante de Salaison Levesque, Annie Levesque : « Se battre contre des géants, ça fait partie du jeu. Mais mon pire concurrent, c’est mon gouvernement!  » Sur ce, je vous invite à appuyer les initiatives comme celles du CQFF pour M. Picotte, ou à vous impliquer contre ces injustices.

Yves Bonneau, rédacteur en chef