Table ronde − Troisième partie
Les épargnants laissés pour compte?

Par Ronald McKenzie | 17 octobre 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
6 minutes de lecture
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‹‹‹‹‹ Diaporama de la table ronde

C’est frappant. Les documents de consultation des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) sur les frais des fonds communs et la rémunération des conseillers traitent en amont des difficultés que peuvent éprouver certains épargnants. Manque apparent de transparence, cherté relative des produits, conflits d’intérêts potentiels, etc.

Par contre, le lecteur ne trouvera pas grand-chose en aval. Les ACVM formulent peu de commentaires sur les impacts qu’auront leurs « projets de règlements », censés mettre fin aux problèmes qui semblent inexistants aux yeux de nos participants. Les ACVM font-elles fi du principe de précaution?

Si oui, cela ne va pas sans peine. Une fois mis au courant des intentions des ACVM, les conseillers indépendants doivent rencontrer les autorités pour leur montrer, souvent dans des mémoires élaborés, les « effets pervers » que provoquera, entre autres, l’imposition de la rémunération à commission.

<<<<< Deuxième partie : Les honoraires, au détriment des clients

Face aux démonstrations convaincantes, les autorités finissent par admettre ne pas avoir prévu les difficultés qui affecteront non seulement les conseillers, mais aussi (et surtout) leurs clients. Les régulateurs corrigeront-ils le tir? Unanimement, les participants à notre table ronde l’espèrent, mais rien n’est moins sûr.

Dans ce troisième volet, ils expliquent comment les épargnants feront les frais du bouleversement du mode de rémunération de leurs conseillers.

À quelques reprises, vous avez affirmé que les épargnants seront les principales victimes de l’abolition des commissions et de leur remplacement par des honoraires. Pourquoi est-ce si évident à vos yeux?

Flavio Vani : Eh bien, comme on l’a dit précédemment, les gens n’ont pas les moyens de payer 200 $ l’heure. L’idée même d’être facturés à l’heure ne passe pas auprès d’eux.

Daniel Bissonnette : Les petits épargnants seront les grands perdants. L’ennui, c’est que ce sont eux qui ont souvent le plus besoin de conseils. On parle ici de beaucoup de personnes. Vous le savez, le Québec est riche en pauvres et pauvre en riches. La valeur du portefeuille moyen est inférieure à 25 000 $!

Et nous, on va devoir se battre pour aller chercher le 1 % de clients qui ont les moyens de payer des honoraires. À terme, le Québec aura un sacré problème social, car plus grand monde n’aura accès à un conseiller, et on va tous en payer le prix.

Flavio Vani : J’encourage les petits épargnants à mettre de l’argent de côté. Si je ne fais pas ça, le gouvernement, effectivement, sera pris avec un problème dans une vingtaine d’années, car 25 % de la population n’aura pas de fonds de pension. Mais si je ne fais plus ce travail d’éducation parce que je ne suis plus en business, qui le fera? Les banques? Je ne suis pas sûr de ça.

Gaétan Veillette : Notre effort d’éducation devrait aussi viser les groupes de consommateurs. Ils doivent être mis au courant de nos contraintes organisationnelles, de nos préoccupations de gestion et des coûts que ça représente.

Luc Larose : C’est vrai que les clients seront les plus grands perdants de la rémunération à commission. L’écrémage s’effectuera de manière élargie. Par exemple, des clients me demandent : « Peux-tu aider mes enfants? Ils ont besoin d’un petit coup de main pour partir. » J’accepte donc de leur consacrer deux ou trois heures sans rien leur facturer, sans savoir s’ils seront mes clients un jour. Ou s’ils le deviennent, ça va être davantage par accommodement. Tout ça risque de disparaître.

Daniel Bissonnette : Chez nous, les comptes en bas de 25 000 $, il y en a beaucoup. Avec les honoraires, le calcul va se faire très rapidement. Ces clients vont recevoir une lettre qui dit : « Désolé, on ne peut plus s’occuper de vous. »

Les revenus que vous tirerez éventuellement de votre clientèle « riche » ne pourraient-ils pas servir à vous rémunérer pour conseiller vos clients moins fortunés?

Flavio Vani : Mais c’est le système que nous avons actuellement et que les autorités songent justement à éliminer! Quand je prends du temps pour gérer un petit portefeuille, je suis rémunéré par mes gros portefeuilles. Cela me permet d’aider mes clients qui, avec le temps, vont se bâtir un gros portefeuille eux aussi.

Dans notre magazine Conseiller, un représentant affirme que la rémunération à honoraires n’est intéressante que si on gère pour 10 millions de dollars d’actifs. Qu’en pensez-vous?

Michel Mailloux : Ce n’est pas évident, cette relation entre les 10 millions de dollars et les honoraires. Si vous avez cinq clients qui détiennent 200 000 $ chacun, pourrez-vous leur facturer 20 000 $ d’honoraires par année? Et si vous avez 500 clients qui totalisent 10 millions, ça ne fait que 20 000 $ par client. Combien d’honoraires pourrez-vous exiger d’eux?

Luc Larose : À titre indicatif, admettons que vous avez 100 clients qui ont collectivement 10 millions de dollars d’actifs. Supposons aussi, comme on l’a mentionné précédemment, que vous avez 80 jours par année dévolus à la vente. Cela signifie que vous devrez servir quatre clients par jour. Dans une journée de 8 heures, ça ne fait que 2 heures par client, temps de déplacement et de préparation inclus! De quoi allez-vous discuter? Ça ne tient pas la route.

Marco Madon : Je crois que c’est faisable, pratiquer à honoraires, si on a au moins 10 millions de dollars d’actifs. Mais il faut avoir une clientèle idéale…

Luc Larose : … et qui accepte de payer!

Première partie : Jamais sans mes commissions! Deuxième partie : Les honoraires, au détriment du client Diaporama de la table ronde


Nos participants

  • Daniel Bissonnette, chef de la conformité, Services financiers Planifax.
  • Guy Duhaime*, président, Groupe Financier Multi Courtage.
  • Luc Larose, MBA et planificateur financier, Lafond Services financiers.
  • Jean-Benoît Laurin, directeur adjoint, Agence Labelle, SFL Placements.
  • Marco Madon, président, Services Financiers Marco Madon.
  • Michel Mailloux, propriétaire, Mayhews & associés.
  • Flavio Vani, président, Assurance et Produits Financiers Vani.
  • Gaétan Veillette, B.A.A., Fellow Administrateur agréé et planificateur financier, Groupe Investors.
  • Robert Viau, conseiller en épargne collective, InfoPrimes.
* Guy Duhaime a dû s’absenter à la dernière minute. Cependant, il nous a fait parvenir un texte qui répondait aux questions soumises aux participants. Ses interventions sont extraites de ce document.


Ronald McKenzie