Votre client est-il dans la marge jusqu’au cou?

Par Gérard Bérubé | 27 septembre 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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• Ce texte est paru dans l’édition de décembre0 2007 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


Où trace-t-on la ligne entre l’endettement et le surendettement? Où dresse-t-on la frontière qui sépare l’intervention du conseiller ou du planificateur financier de celle du syndic? Lorsqu’il semble y avoir problème, la démarcation viendra de la discipline budgétaire et, ultimement, de la consolidation des dettes. Sinon, le remboursement de la dette ne devrait pas nécessairement être une priorité.

«Tout est une question de niveau de dette et de qualité de dette. Il y a des bonnes et des mauvaises dettes », résume Éric Brassard, comptable agréé et planificateur financier du cabinet Brassard Goulet Yargeau, Services financiers intégrés. Le spécialiste rappelle que l’argent n’est jamais gratuit. Lorsque l’on fait face à un choix impliquant un remboursement accéléré ou anticipé de la dette, la décision dépendra du coût de renonciation. « S’il y a retard dans les cotisations REER, si le client n’a pas de régime épargne-études… S’il met 1 000 $ dans le remboursement accéléré de son hypothèque pour sauver 5 % alors que le même 1 000 $ dans un REEE lui rapporte 200 $ en subventions plus le rendement, plus le transfert d’impôt… »

Éric Brassard parle d’une notion péjorative de la dette. « Certes, si tu en abuses, c’est comme l’alcool. » Il se moque de ces ratios d’endettement. Ces ratios, ce sont de la macroéconomie, des statistiques. Lorsque la banque parle d’un ratio de 32 % du revenu brut, c’est bon pour elle. C’est son critère d’acceptation, selon le risque évalué. « Cela veut dire qu’une personne célibataire ayant un revenu annuel de 100 000 $ et qu’une autre ayant le même revenu mais se retrouvant à la tête d’une famille de deux enfants et dont l’autre conjoint ne travaille pas vont être soumises au même ratio. Pourtant, on ne se retrouve pas devant la même situation. »

Il en a également contre cette notion de durée. « Payer deux, trois ou quatre fois sa maison, qu’est-ce que cela veut dire ? Ce qui importe, c’est le niveau du taux d’intérêt et non la durée du prêt. C’est le 5 % que cela te coûte et non la période d’amortissement. » Il faut donc dédramatiser. Après tout, ne sommesnous pas dans un environnement où l’accès au crédit est facile, où il y a peu d’inflation et où les taux d’intérêt sont faibles ? « Il faut travailler sur l’amélioration de la qualité des dettes, et non sur l’abaissement des dettes. » La priorité restera donc, dans l’ordre, la contribution au REER et au REEE. Puis le remboursement des mauvaises dettes, de ces dettes généralement associées à la consommation comportant un taux d’intérêt élevé et non déductible, la meilleure dette étant l’hypothèque. Et s’il y a surplus de fonds, doit-il aller au remboursement accéléré de l’hypothèque ou être canalisé vers des placements hors REER ? « Je dirais un peu des deux. Sans oublier le coût de renonciation. En remboursant l’hypothèque, tu fais du 5 % net, après impôt », rappelle-t-il.

Chantal Belley, planificatrice financière rattachée à la Caisse populaire de Charlesbourg, répond que tout est fonction des comparaisons. Le remboursement hypothécaire anticipé équivaut à un rendement de 5 ou 6 % après impôt alors que dans un REER, un certificat de placement garanti va offrir du 4-5 %, alors qu’un fond équilibré génère du 10- 12 %, en moyenne. Hors REER, le rendement équivalent est de 12 %.

CONSOLIDATION

Mais lorsque l’endettement devient problématique, la consolidation se présente comme étant un outil formidable. Au terme du processus, le coût de la dette est généralement abaissé et la durée prolongée.

Chantal Belley acquiesce. La personne va chercher à avoir un seul paiement, dit-elle. Et s’il y a une marge de manoeuvre, l’hypothèque va devenir l’instrument de prédilection pour la consolidation. Ou encore, cette marge de manoeuvre hypothécaire va être utilisée pour transformer une dette à la consommation, qui peut comporter un coût d’intérêt de 10, 12, voire 18 %.

Éric Brassard ajoute : « Il y a deux formes de consolidation. Celle qui fait appel à l’hypothèque et à la plus-value de la propriété, et celle à laquelle on a recours lorsqu’il y a trop de mensualités. Dans ce deuxième cas, on va diminuer la mensualité en prolongeant l’amortissement, mais, très souvent, cela se fera au prix d’une hausse du taux d’intérêt. Un taux de 12 % devient du 16 %. Cela devient une porte de sortie temporaire. »

Sans échapper au cas par cas, Chantal Belley va travailler avec des ratios. Ainsi, règle générale, le paiement cumulé ou consolidé ne devrait pas dépasser 42 % du revenu brut, dont 32 % pour le logement. « C’est la limite. Il arrive cependant que l’on voie du 50-55 %. L’élastique est alors étiré au maximum. » Dans cette opération de consolidation, on insiste sur l’enrichissement de la personne, et non sur son appauvrissement. « La priorité consiste à rembourser les dettes de consommation, puis à procéder à une consolidation et, enfin, à favoriser une combinaison REER-remboursement anticipé de l’hypothèque. » Si la situation du client est incontrôlable, si la personne n’a pas de discipline budgétaire, « la prochaine étape reste le syndic ».

« Nous intervenons lorsqu’il y a insolvabilité », renchérit Nancy Marceau, conseillère en insolvabilité au Groupe Leblanc Syndic. « Très souvent, lorsque le client vient nous voir, c’est qu’il a déjà fait une consolidation de dettes. » Le travail du syndic s’enclenche lorsqu’il y a insolvabilité et qu’il faut procéder soit à la faillite, soit à la proposition concordataire. Autrement, compte tenu de la structure des honoraires, le syndic n’entrera pas dans les plates-bandes du conseiller ou du planificateur financier. « La première étape consiste à clarifier la situation financière de la personne qui vient nous voir. Cette évaluation se fait généralement sans frais », explique Mme Marceau. S’il ressort de la consultation que le client est solvable, il sera invité à réhypothéquer ou encore à vendre des éléments d’actif. Le syndic ne donnera ni conseils ni recommandations, et ne fera pas de références. Tout au plus « nous allons l’aider à faire un budget », ajoute la conseillère du Groupe Leblanc.

Cela étant, il faut retenir que les situations problématiques de surendettement ou d’endettement ne sont pas démesurées, indique Lorraine Ross, directrice de la succursale RBC au Complexe Desjardins. Une alarme peut toutefois sonner lorsque la totalité des mensualités dépasse 40 % du revenu brut. « C’est souvent un problème de discipline budgétaire, de mauvais contrôle des dépenses et d’éparpillement des mensualités. Nos conseillers vont alors s’asseoir avec eux. Nous allons évaluer la situation financière et globale du client, chiffrer sa valeur nette et, le cas échéant, lui proposer des solutions », souligne la spécialiste de la Banque Royale.

Si la problématique va au-delà de la discipline budgétaire, la consolidation, le refinancement ou la marge de crédit hypothécaire seront proposés. « Nous travaillons à accroître la valeur nette du client. Lorsqu’une situation doit être régularisée, nous allons généralement procéder en allongeant l’amortissement de la dette », déclare Mme Ross. À l’extrémité, s’il n’y a pas d’actif pouvant être mis à contribution, selon la nature de l’endettement et l’état de ses revenus, le client sera invité à obtenir de l’aide extérieure, voire à recruter un endosseur.

Que ce soit une dette contractée à des fins d’investissement ou servant à financer un voyage ou l’achat d’un manteau de fourrure, la personne se retrouve avec une dette à gérer et elle doit le faire de la façon la plus intelligente possible.

TROIS RISQUES

On le voit, « l’étape du syndic est celle où il n’y a pas de solution autre que de s’arranger avec les créanciers. Or, des choses peuvent être faites avant d’atteindre ce point. » Éric Brassard parle de l’équilibre qu’il faut maintenir entre trois grands risques. « Lorsque la dette est là, sa provenance ou sa nature n’a plus d’importance. Que ce soit une dette contractée à des fins d’investissement ou servant à financer un voyage ou l’achat d’un manteau de fourrure, la personne se retrouve avec une dette à gérer et elle doit le faire de la façon la plus intelligente possible. La question ne devient alors pas tant un problème d’endettement qu’un problème d’équilibre des risques. »

Le premier risque est lié aux besoins budgétaires à court terme, à ce coussin de liquidités qu’il faut détenir lorsqu’il y a perte de revenu ou d’emploi. Le deuxième est associé aux probabilités de manquer d’argent à la retraite, de survivre à son capital. Le troisième est apparenté à la malchance, à ces imprévus ou revirements de situation qui viennent compromettre le plan de retraite et altérer le train de vie. On aura alors recours aux produits d’assurance : invalidité, maladies graves ou soins de longue durée.

Pour Éric Brassard, on n’insiste jamais trop sur la protection d’assurance. « En assurance de dommages, il n’y a pas de problème. Nous sommes surassurés. Tout est assuré, même le grille-pain », lance le spécialiste. C’est une tout autre histoire lorsque vient le temps de protéger ses revenus, sa capacité de gagner ces revenus. « Pourtant les revenus constituent le moteur de la planification financière. Lorsqu’on perd cette capacité, lorsqu’un AVC nous frappe à 38 ans, le manque à gagner se chiffre en millions de dollars. C’est beaucoup plus stressant qu’un 100 000 $ de dette ! » Quant à l’assurance vie, « c’est au décès, c’est pour les autres ».

Donc, avant de se dépêcher à rembourser ses dettes, il faut penser à des moyens protégeant le revenu avec des prestations du vivant. « Ce volet assurance est probablement la partie la plus ennuyante de notre travail de planification. Mais elle est tellement importante. » Éric Brassard résume : « Il y a trois dates – aujourd’hui, la retraite et le décès – et deux moments – l’intervalle période active-retraite et l’intervalle retraite-décès. Il faut s’assurer que le train de vie sera protégé jusqu’au décès, et ce, compte tenu des variations des besoins selon l’âge. Une fois cela fait, avec le reste, on dépense ! »

Ce portrait est évidemment évolutif, car les besoins varient en fonction de l’âge et des aléas de la vie. Et il permet de dégager des profils types. Ainsi, on va généralement reconnaître que les gens structurés financièrement seront plus à l’aise avec la dette. Ils seront plus tolérants au risque. Ou encore, on retient que la problématique du surendettement sera généralement associée à une surconsommation.

Mais au-delà de ces grandes étiquettes, de ces grandes généralités, Chantal Belley observe que la génération des 50 ans et plus est davantage poussée vers l’épargne, qu’elle affiche un degré d’aversion élevé à la dette. Celle des 40-50 ans, plus encline à « profiter de la vie », va privilégier l’épargne et un peu de dette, pas trop. C’est dans la génération des 20-30 ans que le surendettement sera dominant.


• Ce texte est paru dans l’édition de décembre0 2007 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Gérard Bérubé