Vous faites-vous organiser?

Par Yves Bonneau | 27 mai 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Thomas Klebestreifen

Si vous suivez les péripéties édifiantes que nous offrent les travaux de la Commission Charbonneau depuis des mois, vous constatez comme moi que, en tant que contribuables, nous nous faisons profondément escroquer. Nous sommes victimes d’abus de toutes parts. Mais serions-nous des victimes consentantes?

Je sais, victimes consentantes, ça semble fort un peu. En dépit de notre colère et de notre dégoût devant l’état scandaleux dans lequel nos élus ont laissé les lieux publics, nous sommes peut-être en partie responsables de ce fiasco.

Nous avons tous des connaissances qui travaillent au sein de l’appareil étatique. Nous avons tous entendu des histoires désolantes de gaspillages de toutes sortes. Ne serait-ce que les fameux rapports des vérificateurs généraux publiés annuellement. Perdus : du temps, des biens; trouvés : des faveurs, des contrats juteux, etc. Ceux qui gravitent près des élus, et même certains élus, semblent avoir un placard plus ou moins grand d’où il ne fait pas très bon sortir. Pas étonnant que certains, plus entreprenants que la moyenne des ours, aient érigé l’exercice en système.

Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller.

C’est pourtant simple, si tout cela a été possible et l’est encore, c’est parce que nous ne nous occupons pas de nos affaires. Nous nous intéressons à peu, nous ne nous impliquons pas, nous n’allons pas voter, nous n’avons jamais lu un programme électoral. Conclusion : nous laissons le champ libre aux filous et à ceux qui veulent nous organiser. Ils ont tellement une belle tête sur les affiches électorales, n’est-ce pas? Après, on ne sait pas trop ce qui se passe. Les conseils municipaux votent pour sortir les journalistes et leurs caméras des séances plénières, les éditeurs de journaux régionaux coupent les effectifs parce que leurs intérêts ne sont pas d’informer les citoyens, mais de présenter des bilans positifs. On se retrouve au bout du compte avec une démocratie de république de bananes.

Pourquoi je vous entretiens de tout cela, me direz-vous? C’est simple. J’ai l’impression qu’en tant qu’acteurs et moteurs de l’activité économique, en tant que gardiens des actifs et des économies de toute une population, vous vous faites trop souvent rouler dans la farine parce que vous vous faites invisibles. Et comme la nature a horreur du vide, il y en a d’autres qui parlent à votre place et qui vous organisent…

Les récentes initiatives réglementaires des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) concernant 31-103 et 81-407 semblent avoir été imaginées pour tester votre tolérance à l’hyperactivité des régulateurs et à l’imposition illimitée d’exigences de conformité. Le travail de conseiller est probablement celui où il y a le plus d’étapes, de formulaires, de questions préalables, de dispenses, de précautions à consigner par écrit avant de passer à l’acte pour lequel vous avez été formés, soit conseiller.

S’il est vrai que tous ces gestes de conformité ont été pensés avec les meilleures intentions du monde, leur mise en application cependant est loin d’avoir été pensée dans l’intérêt du client. Le temps passé à noircir de la paperasse devrait plutôt être consacré à conseiller. Et, sans surprise, chaque consultation amène son lot de nouvelles mesures à appliquer, de sorte que vos activités professionnelles sont inversement proportionnelles à vos activités administratives pour satisfaire les hordes de fonctionnaires qui vous surveillent.

Assistons-nous à la « fonctionnarisation » de la profession? Au rythme où vont les choses et à la vitesse à laquelle croissent les effectifs des services de conformité, il faut poser la question. Les vagues successives de consolidation des cabinets de petite et moyenne envergure dans l’industrie ne sont pas étrangères au fardeau réglementaire accru et au rythme insoutenable avec lequel on les impose.

Que faire pour se défendre, se faire entendre, renverser la vapeur? Écrire des mémoires à chaque consultation? Ça ne semble pas fonctionner puisqu’ils contiennent des centaines de suggestions réalistes rarement prises en compte. La raison est simple : si une consultation recueille une cinquantaine de mémoires, au final, il n’y a pas de consensus. L’un parle au nom de son entreprise, un autre de ses convictions, un troisième de la difficulté de trouver de la relève… Résultat, vous vous faites organiser.

En 1996, la première mouture du projet de loi 134, encadrant la pratique des conseillers en services financiers, ne prévoyait pas de chambres. Il a fallu que l’AIAPQ et le RCCAQ fassent pression auprès du gouvernement pour changer la structure d’autoréglementation, qui ne comprenait que le Bureau des services financiers. Le nombre de conseillers que ces associations représentaient a fait la différence. On ne verrait pas cela aujourd’hui. Le volet associatif de l’AIAPQ s’est éteint et n’a jamais été remplacé.

Il y a bien le RICIFQ, qui est porté à bout de bras par des bénévoles et qui a récemment été tiraillé par des luttes intestines, mais on est loin du compte. Vous avez le germe d’une association. Vous devriez vous arranger pour lui donner des moyens et une voix. En démocratie, tout est question de nombre.

En 2010, au cours de la conférence de presse donnée par l’ex-ministre des Finances Raymond Bachand lors du Rendez-vous avec l’Autorité, un membre du conseil du RICIFQ a posé une question au nom des conseillers. Raymond Bachand* a aussitôt fusillé le porte-parole du RICIFQ d’un air hautain : « Vous représentez combien de conseillers, vous, monsieur, 300, 400? OK, passons à une autre question svp! » Victimes consentantes, vous dites?


Yves Bonneau, rédacteur en chef yves.bonneau@objectifconseiller.rogers.com

* Erratum : Après vérification, contrairement à ce qui était écrit dans le texte original (Conseiller, juin 2013), ce n’est pas un porte-parole de l’AMF qui s’est approché du ministre Bachand.

Yves Bonneau