Herbe à puce

Par Michel Mailloux, du Collège des professions financières | 22 août 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Homme qui se gratte le cou et a l'air inconfortable.
Photo : jedimaster / 123RF

Selon certaines personnes, les démangeaisons liées à l’herbe à puce reviendraient hanter ceux qui en ont été victimes année après année. Même si ce sont des histoires de grand-mères, ces individus sont absolument certains de revivre ce supplice annuellement.

Comme professionnels des marchés financiers, nous avons aussi une période pendant laquelle nous sommes touchés par notre propre herbe à puce, la formation continue obligatoire, suivant un cycle de deux ou trois ans selon notre titre.

On entend souvent dire que les exigences sont trop grandes. Quelque 30, 40 ou 50 heures par deux ans demandées par la Chambre de la sécurité financière, un peu moins avec la Chambre de l’assurance de dommages (20 heures par deux ans), 30 heures pour les professionnels en valeurs mobilières et entre 18 et 24 heures pour les courtiers immobiliers… Ces chiffres sont similaires à ceux auxquels doivent se soumettre les avocats et notaires (30 heures par deux ans), mais nettement inférieurs à ceux des comptables agréés, qui doivent suivre 120 heures de formation par période de trois ans.

Est-ce trop? En conformité seulement, les représentants doivent se soumettre à plus d’une douzaine de règlements ou de lois, ce qui exige au total 10 heures de formation. On consacre donc un maximum d’une heure par sujet par période de deux ans.

De plus, vous devez vous plier aux exigences de connaissance du client, ainsi que des nouveaux produits ou de leurs modifications, vous devez apprendre ou revoir les notions fiscales et financières, examiner les tendances de l’économie, etc.

Tout cela constitue un total de 15 heures de formation additionnelle par année. Pendant ce temps, les nouveaux détenteurs de permis, eux, ont appris sur les enjeux qui touchent l’industrie, les plus récentes techniques et les solutions actuelles.

CE N’EST PAS UNE MALADIE, NI UNE ALLERGIE

Le même scénario se reproduit, période par période. On doit faire des formations continues. Mais, elles ne se ressemblent pas toutes. Examinons trois comportements. À vous de déterminer lequel vous ressemble le plus.

Monsieur « J’ai une grande expérience » aura peut-être tendance à suivre toute la kyrielle de formations gratuites offertes par les agents généraux et les compagnies d’assurance. Certains de ces cours sont excellents. D’autres, totalement lamentables! Les formations valent souvent ce qu’elles coûtent… jugez par vous-même! En plus, monsieur « J’ai une grande expérience » pourrait être tenté de reprendre, cycle après cycle, les mêmes formations, la répétition facilitant le travail.

On retrouve aussi parmi ces personnes un autre trait de caractère : celui de fuir les devoirs. On préfère assister à des formations sans faire l’effort d’un travail subséquent, pourtant une occasion unique de mieux assimiler les connaissances.

Un autre type de personnalité est celle qui veut maximiser le nombre d’unités de formation continue (UFC) acquis par jour de formation. C’est monsieur « Je m’en fous, faites vite! ». On s’inscrit à une formation, on doit lire quelques documents au préalable et on assiste à une courte conférence. Parfois, il n’y a même aucun garde-fou pour s’assurer que la lecture a été faite.

Certains vendeurs de formations, avec la complicité de certains bureaux régionaux, s’adonnent à cette pratique. Elle est dommageable à tous. Les bureaux, les agents généraux ou les entreprises qui acceptent une telle approche auront, à terme, des professionnels moins compétents.  Madame ou monsieur « Je m’en fous, faites vite! », ne veut pas payer beaucoup et ne porte pas une grande attention aux sujets traités.

Heureusement, il semble que la majorité des représentants soient des « Je n’aime pas, mais il le faut, alors autant le faire bien ». On regroupe ici les conseillers qui se comportent professionnellement en choisissant des formations pour accroître leurs connaissances ou maintenir celles-ci dans leurs domaines d’expertise.

APPARENCE DE CONFLITS D’INTÉRÊTS

Mais… il y a un « mais ». Certains organismes de régie, comme la Chambre de la sécurité financière ou l’Institut québécois de planification financière, se financent par les formations qu’elles donnent en exclusivité. Et sur ce terrain, nous sommes nous-mêmes en conflit d’intérêts, le Collège des professions financières étant un fournisseur de ce service.

Ils pourraient profiter de leur accès privilégié aux membres pour mousser leurs propres formations, tout en évaluant les formations des autres fournisseurs. Ça nous semble être un conflit d’intérêts.

Selon Wikipédia, « une situation de conflit d’intérêts apparaît quand un individu ou une organisation doit gérer plusieurs liens d’intérêts qui s’opposent, dont au moins l’un d’eux pourrait corrompre la motivation à agir sur les autres, ou au moins donner cette impression (on parle alors d'”apparence de conflit d’intérêts“) ».

Ces organismes pourraient générer les mêmes revenus en imposant une tarification différente avec des cahiers de charge. Ceci correspondrait aux plus hauts standards internationaux (normes ISO), tout en permettant aux entreprises québécoises de formation de se développer comme nos concurrents canadiens, qui bénéficient d’un marché plus libre.

Dans le reste du Canada, certains organismes exigent d’accréditer les formations, mais n’en développent pas eux-mêmes. D’autres en produisent (et demandent des droits pour les suivre), tout en accréditant les formateurs, mais n’imposent pas  leur propres formations obligatoires comme c’est le cas au Québec. Une avenue à considérer!

Famille sous un parapluie rouge

Michel Mailloux, du Collège des professions financières

Michel Mailloux, MBA, est planificateur financier et éthicien. Il dirige le Collège des professions financières. Le Collège est un fournisseur autorisé par l’Autorité des marchés financiers pour les formations nécessaires à l’entrée en carrière en assurance de personnes (Programme de qualification en assurance de personnes, ou PQAP). Michel travaille aussi comme intervenant en conformité à travers sa firme Mailloux & associés.