Le casse-tête de la déclaration de revenus unique

Par Pierre-Luc Trudel | 10 mai 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Casse-tête difficile à solutionner.
Photo : alphaspirit / 123RF

Les contribuables québécois doivent, depuis 1954, remplir deux déclarations de revenus, qui sont traitées par deux agences distinctes. Alors que la mise en place d’une déclaration unique refait surface sur la scène politique, l’enjeu est loin d’être aussi simple qu’il en a l’air.

« Il y a une réelle nécessité de simplifier le processus. En ce moment, les contribuables doivent assumer deux fois la conformité fiscale. C’est une perte de temps incroyable pour les PME et cela nuit à leur compétitivité », a affirmé Stéphane Forget, président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), lors d’une journée de réflexion organisée par la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke la semaine dernière.

Il souligne également les coûts directs et indirects liés à la production de deux déclarations de revenus au Québec, qui atteignent près de 500 millions de dollars par année, selon certaines études.

La FCCQ est d’avis que la création d’un guichet unique, et donc d’un processus de vérification unique réalisée par une seule agence, serait la meilleure option pour rendre le régime fiscal plus efficient tout en permettant au Québec de conserver son autonomie.

« Nous n’avons pas d’a priori à savoir si ce guichet unique serait Revenu Québec ou l’Agence du revenu du Canada, poursuit-il. On pourrait même imaginer une délégation mutuelle des responsabilités. L’une des agences pourrait par exemple traiter les déclarations des particuliers, et l’autre, celles des entreprises. L’important, c’est de penser d’abord au meilleur intérêt du contribuable et de mettre de côté les chicanes constitutionnelles. »

L’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec estime aussi qu’il est temps d’unifier le traitement des déclarations de revenus dans la province. « Faire deux fois le travail, ce n’est vraiment pas efficace, et ça augmente le risque d’erreur », soutient Geneviève Mottard, présidente et chef de la direction de l’ordre professionnel.

Elle va même jusqu’à dire que le processus actuel va à l’encontre des principes de bonne gouvernance. « On peut faire autrement pour réduire les coûts d’administration sans nuire à l’autonomie fiscale du Québec », croit-elle.

C’EST QUOI AU JUSTE, UNE DÉCLARATION UNIQUE?

Selon un sondage SOM réalisé en juin 2018, huit Québécois sur dix se disent favorables à la mise en place d’une déclaration de revenus unique. Mais encore faut-il savoir ce que l’on entend exactement par ça, souligne Luc Godbout, directeur du Département de fiscalité et titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques à l’Université de Sherbrooke.

Une déclaration unique peut en effet prendre plusieurs formes :

  • un formulaire unifié transmis à la fois à Revenu Québec (RQ) et à l’Agence du revenu du Canada (ARC);
  • une déclaration traitée par une seule agence (soit RQ, soit l’ARC);
  • l’adoption d’une assiette fiscale unique, et donc d’un revenu imposable identique à Québec et à Ottawa

« Une réforme qui se limite à la création d’un formulaire unique aurait peut-être eu de l’intérêt en 1987, mais aujourd’hui presque tous les contribuables font leur déclaration de revenus de façon informatisée. Ce n’est plus un gros enjeu », dit-il.

Les autres possibilités nécessitent toutefois des changements plus profonds. Si l’on décide de mettre en place un guichet unique par exemple, il faudra décider qui de l’ARC ou de RQ en aura la responsabilité, et s’assurer d’intégrer les processus opérationnels des deux agences.

Quant à la solution la plus extrême, qui consisterait à adopter une assiette fiscale unique, elle aurait pour effet de diminuer l’autonomie du Québec en matière d’impôt.

Il faut savoir que les autres provinces peuvent déterminer leurs propres taux d’imposition et créer des crédits d’impôt en fonction de l’orientation de leurs politiques fiscales. Elles doivent cependant utiliser la définition fédérale de revenu imposable afin d’avoir une assiette fiscale commune avec Ottawa. Autrement dit, le revenu imposable d’un contribuable demeure le même au provincial et au fédéral. Pour les contribuables québécois, ce revenu imposable peut varier selon le palier de gouvernement.

Sans cette autonomie fiscale, explique Luc Godbout, le Québec n’aurait pas pu introduire certaines mesures, comme l’imposition de la prime d’assurance maladie payée par l’employeur, ou encore la récente « taxe Netflix », qui oblige les entreprises étrangères vendant des services numériques à des consommateurs québécois à percevoir la TVQ.

SIMPLIFIER AVANT D’UNIFIER

Pour Danièle Milette, directrice du service de fiscalité au cabinet Amyot Gélinas, la priorité du Québec devrait être de simplifier sa fiscalité. « Il y a des mesures qui sont les mêmes au Québec et au fédéral, tout ce qui concerne les régimes de retraite et les régimes enregistrés, par exemple, d’autres qui n’existent qu’à un seul des deux paliers, et d’autres encore qui existent aux deux paliers, mais dont les paramètres sont différents. Cela rend la fiscalité québécoise très complexe », explique-t-elle.

Certaines mesures fiscales se matérialisent par exemple par une déduction au fédéral, et un crédit d’impôt au provincial. Certains frais médicaux sont imposables au fédéral, mais non imposables au provincial, et vice-versa. Pire encore, les facteurs d’indexation diffèrent parfois entre les deux paliers, et ce, pour une même mesure fiscale.

« Il faut se questionner sur le sens de l’autonomie fiscale et se demander s’il est toujours pertinent de se différencier, souligne Jean-François Thuot, associé, Fiscalité, à PwC Canada. Est-ce que remplacer un crédit d’impôt par une déduction pour s’harmoniser avec Ottawa va nous empêcher de dormir? Parfois, on se demande vraiment pourquoi il y a des distinctions. »

Selon lui, il s’agit du premier chantier auquel Québec devrait s’attaquer, peu importe la mise en place ou non d’une administration de l’impôt unique.

L’enjeu d’une déclaration de revenus unique n’est cependant pas que fiscal, il est aussi politique. En mai 2018, l’Assemblée nationale a adopté une motion unanime en faveur d’une déclaration de revenus unique qui serait administrée par Revenu Québec. À Ottawa, le Parti conservateur a fait de la déclaration de revenus unique pour les Québécois une promesse électorale. Le gouvernement libéral a de son côté fermé la porte à cette possibilité.

« Ce n’est pas anodin comme réforme, c’est très ambitieux », note Luc Godbout.

Pierre-Luc Trudel