Crise financière américaine : un plan de sauvetage est nécessaire

1 octobre 2008 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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«Les Américains n’ont pas le choix. Un plan de recapitalisation est nécessaire s’ils veulent sauver leur système financier.» Voilà l’un des constats qu’a dressé l’économiste Bernard Élie, professeur retraité de l’Université du Québec à Montréal.

En compagnie de ses collègues Philip Merrigan et Pierre Fortin, Bernard Élie participait, hier, à Montréal, à une table ronde sur la crise financière américaine. À une centaine d’étudiants et de représentants des médias, les trois panélistes ont livré leurs commentaires sur l’état de la situation aux États-Unis et des conséquences pour le Canada d’une dégradation du secteur bancaire au pays de l’oncle Sam.

D’entrée de jeu, ils ont précisé que la crise actuelle n’entraînera pas la mort du capitalisme, comme le suggérait un étudiant. «J’espère en tout cas que ce sera la fin du capitalisme à l’américaine, celui des dérapages qui produisent les bulles qu’on a connues dans l’immobilier et les titres technologiques», a lancé Pierre Fortin.

Sur l’importance du plan de sauvetage, les trois experts ont indiqué que le but de l’exercice n’était pas de régler les problèmes économiques aux États-Unis, mais d’empêcher la contagion dans les autres secteurs. «La crise actuelle a retranché 1 trillion de dollars en capacité de crédit pour les consommateurs et les entreprises. L’impact sur l’économie réelle est indéniable. Voilà pourquoi il faut recapitaliser les banques», a dit Philip Merrigan.

Le problème, c’est que le plan Paulson, qui a été rejeté par le Congrès lundi dernier, était perclus de lacunes sérieuses. «Ce n’était pas un bon plan. Il laissait à l’État la responsabilité des titres toxiques en contrepartie de rien. Aucune mesure disciplinaire ne visait les banques. De plus, il n’y avait rien pour aider les consommateurs et les petites banques régionales», a souligné Bernard Élie. Si j’avais été un parlementaire américain, j’aurais moi aussi rejeté le plan Paulson, a-t-il ajouté.

Pierre Fortin a fait remarquer que le plan Paulson était inacceptable à sa face même en raison de «l’immunité totale» dont auraient joui les dirigeants des banques et du fardeau que cela aurait représenté pour les contribuables. «On avait besoin d’une contrepartie, comme la participation du gouvernement au capital-actions des banques qui auraient été sauvées», a précisé Pierre Fortin.

Saisissant la balle au bond, Bernard Élie a rappelé que les Européens exigent toujours une participation au capital des banques lorsqu’ils les nationalisent. «Quand ils en prennent le contrôle, ils font le ménage [au sein de la direction], améliorent leur rentabilité et les revendent.» Au contraire, le plan Paulson prévoyait que le gouvernement achète les mauvaises créances seulement, pas les actifs productifs. «Je comprends que les Américains aient manifesté leur mécontentement», a dit Bernard Élie.

Les trois spécialistes sont d’accord sur le fait qu’une aide de 700 milliards de dollars pourrait n’être qu’un ticket d’entrée. «Quand les fonds de couverture vont commencer à éprouver des difficultés, attendez de voir combien cela va coûter», a prévenu Pierre Fortin. Selon lui, il faudra multiplier la facture par deux ou même trois.

Que devrait contenir un plan de sauvetage acceptable? Pour Philip Merrigan, les quatre points suivants.

  • Réorganiser le marché des hypothèques. Le modèle canadien serait à privilégier. Au pays, rappelle-t-il, les emprunteurs doivent habituellement verser une mise de fonds. Si celle-ci est insuffisante, ils doivent faire assurer leur prêt par une institution reconnue, comme la SCHL. «Un tel organisme n’existe pas aux Etats-Unis», a précisé Bernard Élie.
  • Limiter le ratio d’endettement des banques d’investissement. Actuellement, le ratio dette/actif dans ces institutions financières peut atteindre 30:1, ce qui est excessif aux yeux de l’expert.
  • Réglementer le marché des produits dérivés. «Mais ce sera compliqué, parce que ce secteur n’a jamais été réglementé», a dit Philip Merrigan. Cependant, il s’agit d’une nécessité, car les dérapages surviennent quand le marché des dérivés perd le nord.
  • Mieux encadrer les agences de notation de crédit. «Comment expliquer qu’une entreprise cotée AAA se retrouve du jour au lendemain avec une cote négative? Il faut pouvoir se fier aux cotes de crédit.»

La mise en place de telles mesures va demander un important effort de réglementation. Mais au pays du libre commerce, la pilule pourrait être difficile à faire avaler. Ici, la discussion a pris une couleur résolument politique. En chœur, les panélistes ont souhaité l’élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis. «Avec un sénat et un Congrès dominés par les Démocrates, cela aura pour effet d’accélérer les changements réglementaires», prévoit Philip Merrigan. «On parle même d’un New Deal 2.0», a lancé Pierre Fortin.

Pour lui, le prochain président des États-Unis devra s’attaquer à des problèmes fondamentaux qui minent la société américaine. La rémunération des dirigeants des entreprises en est un. Avec les bonis et les options qui viennent enrichir un salaire de base déjà confortable, les cadres supérieurs en mènent large. «Pouvez-vous me dire pourquoi une personne a absolument besoin d’un salaire de 40 millions de dollars par année?», s’est demandé Bernard Élie. Pierre Fortin a précisé: «Un pour cent des Américains gagne 24% de tous les revenus du pays. Cela n’a pas de bon sens.» Cette aberration dans la distribution de la richesse a été encouragée par les politiques républicaines. «On a éliminé les hauts taux marginaux d’imposition, mesure qui n’a favorisé que les riches. Il faudrait peut-être songer à remettre ces taux en place», a suggéré Pierre Fortin.

Mais pour y arriver, il faudra que les Démocrates fassent élire leur candidat. Les trois panélistes souhaitent que les électeurs américains y réfléchiront deux fois avant de se présenter aux urnes.

Pour conclure la conférence, Pierre Fortin a demandé à l’auditoire: «Savez-vous quelle est la probabilité que Sarah Palin devienne présidente des États-Unis advenant l’élection de John McCain durant deux mandats? Eh bien, c’est 30 %. J’espère que les Américains qui vont aller voter savent compter.»