Des règles déontologiques trop strictes?

25 novembre 2011 | Dernière mise à jour le 25 novembre 2011
13 minutes de lecture

Un flou artistique demeure autour des options s’offrant au conseiller financier qui constate que l’un de ses clients n’est plus apte à gérer ses biens financiers ou que la mandatée pour s’en occuper s’acquitte mal de ses responsabilités. Peut-il en informer des proches, voire le Curateur public? Oui, répond ce dernier, non, rétorque l’Autorité des marchés financiers.

« En général, affirme le porte-parole de l’AMF Sylvain Théberge, un conseiller ne peut pas être relevé de son devoir de confidentialité pour transmettre des informations personnelles ou confidentielles sur le constat de troubles cognitifs chez son client, à moins d’une situation d’urgence mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité publique. Une violation de confidentialité constitue une infraction déontologique et est même passible d’une poursuite civile en diffamation. »

« Devant un tel dilemme, affirme Aline Charest, porte-parole du Curateur public, vous pouvez faire un signalement de façon anonyme, mais en donnant suffisamment de détails pour permettre au Curateur public du Québec d’enclencher une enquête. Pouvant agir de sa propre initiative, il peut faire enquête selon l’article 27 de la Loi sur le curateur public. »

« Pour l’ouverture d’un régime de protection pour un client, ajoute Sylvain Théberge, la réponse est essentiellement la même. »

Invoquant l’article 269 du Code civil du Québec, le Curateur public souligne que « peuvent demander l’ouverture d’un régime de protection le majeur lui-même, son conjoint, ses proches parents et alliés, toute personne qui démontre pour le majeur un intérêt particulier ou tout autre intéressé, y compris le mandataire désigné par le majeur ou le Curateur public ».

« Il est vrai que le Curateur public peut demander lui-même l’ouverture d’un régime de protection pour un majeur inapte, rétorque l’AMF. Ce processus ne s’enclenche toutefois qu’à la réception d’un rapport transmis par le directeur général d’un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (article 14 de la Loi sur le curateur public). »

« Nous ne sommes pas à même de déterminer la bonne ou la mauvaise façon d’intervenir selon chacune des corporations professionnelles ou chaque organisme de réglementation, tranche François Loiselle, directeur des communications du Curateur public. Un cas récent de l’actualité a posé l’enjeu quant à savoir si des infirmières auraient dû dévoiler ce qu’a dit sur son lit de mort l’assassin ou le présumé assassin de Julie Surprenant. »

Plus de limpidité en cas de violence physique La situation est plus limpide dans les cas de violence physique. La Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé fournit un éclairage. Les articles 18 et 18.1 de cette loi prévoient qu’une personne « (…) qui exploite une entreprise peut, sans le consentement de la personne concernée, communiquer un renseignement personnel contenu dans un dossier qu’elle détient sur autrui : 7° (…) à une personne à qui cette communication doit être faite en raison d’une situation d’urgence mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité de la personne concernée; […] »

Ces renseignements peuvent être communiqués « à la ou aux personnes exposées à ce danger, à leur représentant ou à toute personne susceptible de leur porter secours. »

Toutefois, même dans une telle situation, tout renseignement ne peut être communiqué. « La personne qui exploite une entreprise et qui communique un renseignement en application du présent article ne peut communiquer que les renseignements nécessaires aux fins poursuivies par la communication. »

L’autre situation claire est celle d’un organisme public qui demande un renseignement « (…) dans l’exercice de ses attributions ou la mise en œuvre d’un programme dont il a la gestion (…) ». Il est possible, voire obligatoire, de les fournir.

Pour les autres types de renseignement, il vaut mieux consulter les lois sectorielles. Qu’il s’agisse de la Loi sur la distribution de produits et services financiers ou, pour les assureurs, du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, du Code de déontologie des experts en sinistres ou du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière, la confidentialité est de mise.

Ces codes prévoient « non seulement un devoir de discrétion dans la conduite générale du conseiller, précise l’AMF, mais également un devoir de confidentialité quant aux renseignements personnels et confidentiels qu’il obtient sur un client. Le fait de révéler un renseignement personnel ou confidentiel sur un client constitue un manquement déontologique et peut le conduire devant un comité de discipline. Il peut même s’exposer à un recours civil de la part de son client si cela lui cause préjudice. »

Deux exceptions à la règle Sylvain Théberge relève deux exceptions à cette règle : si la loi le permet ou si un tribunal compétent relève un professionnel de son obligation de confidentialité. « La loi à laquelle on réfère ici est la Loi sur la distribution de produits ou services financiers, ajoute-t-il. Par exemple, le syndic est habilité par cette loi à requérir des documents auprès des conseillers, même ceux de nature confidentielle. »

« En général, prévient-il, un conseiller ne peut être relevé de son devoir de confidentialité pour transmettre des informations personnelles ou confidentielles sur le constat de troubles cognitifs chez son client. »

Quant à la définition de renseignement prévue à la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, elle couvre un large territoire : « Est un renseignement personnel, tout renseignement qui concerne une personne physique et permet de l’identifier. »

« Le mandat en cas d’inaptitude est mis en œuvre par le mandant lui-même en prévision de son inaptitude, rappelle l’AMF. Si ce mandat existe déjà, seul le mandataire pourra en demander l’homologation par une requête au tribunal. Il doit prouver l’inaptitude par une évaluation médicale et psychosociale. Nous voyons donc difficilement comment un conseiller pourrait alerter un proche ou le curateur public sans dévoiler quelques renseignements personnels sur son client. »

Carole Chauvin, syndic de la Chambre de l’assurance de dommages affirme que, « peu importe les motivations d’un représentant, la divulgation de renseignements personnels sans le consentement du client est proscrite par le code de déontologie. »

PLUS CONCRÈTEMENT Voici un exemple concret qui a été soumis à l’Autorité des marchés financiers pour illustrer un cas type qui pourrait survenir dans la pratique d’un conseiller.

La cliente, Mme Dame, âgée de 81 ans, participe compulsivement à des concours sur internet. Chaque concours lui demande des frais de plusieurs dizaines de dollars, voire une centaine de dollars. Au bout de six mois, elle a fait des retraits intempestifs dans son compte de placements de quelque 12 000 dollars. La famille n’est pas au courant, car, aux dernières nouvelles, elle s’acquittait très bien de ses affaires personnelles. Elle vit seule dans son condo en banlieue. Son conseiller s’inquiète quand il voit les retraits successifs au compte, il passe la voir chez elle, et s’aperçoit compte que Mme Dame affiche une certaine confusion. Que doit faire le conseiller pour remédier à la situation le plus rapidement possible afin d’éviter à madame la dilapidation de son patrimoine?

La logique voudrait que le conseiller puisse communiquer avec la famille (s’il la connaît), et peut-être un professionnel en service social. Il pourrait par la suite mettre la famille en contact avec ce professionnel pour enclencher un processus d’évaluation qui se solderait peut-être par le déclenchement du processus d’homologation de mandat en cas d’inaptitude (si elle en a un). Toutefois, la règle à suivre dans tous les cas pour les conseillers est de s’assurer que ce processus soit fait avec la permission du majeur. « Quand il s’agit de protéger un adulte, seul l’adulte concerné peut le faire pour lui-même », confirme Daniel Bissonnette, Pl. Fin., président de Planifax.

Selon Sylvain Théberge, de l’AMF, le conseiller pourrait, sans dévoiler des informations confidentielles (comme la nature des transactions effectuées), demander une rencontre « conjointe » avec sa cliente et un membre de sa famille, de manière à lui exprimer ses inquiétudes quant aux décisions de placement. Il pourrait donc ainsi, sans dévoiler d’informations confidentielles, avertir la famille de la cliente de ses inquiétudes, en présence de la cliente.

En général, un conseiller ne peut pas être relevé de son devoir de confidentialité pour transmettre des informations personnelles ou confidentielles sur le constat de troubles cognitifs chez son client, à moins d’une situation d’urgence mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité publique. Un bris de confidentialité est une infraction déontologique et est même passible d’une poursuite civile en diffamation.

Pour l’ouverture d’un régime de protection pour un client, la réponse est essentiellement la même. Il est vrai que le curateur public peut demander lui-même l’ouverture d’un régime de protection pour un majeur inapte (article 269 C.c.Q.). Mais ce processus s’enclenche seulement sur réception d’un rapport transmis par le directeur général d’un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (article 14 Loi sur le curateur public).

En clair, la situation décrite précédemment ne pose aucun problème déontologique relié à la confidentialité ou à tout autre motif tant que le conseiller ne donne pas d’informations susceptibles d’identifier son client.

En soi, le réseautage avec d’autres professionnels ne pose aucun problème déontologique; il peut être utile pour poser des questions d’ordre général. Par exemple, un conseiller peut très bien demander au travailleur social comment aborder avec son client la question de la perte des capacités cognitives et lui parler des inquiétudes que cela soulève chez lui. Le conseiller peut aussi référer son client à un autre professionnel et lui suggérer de le rencontrer. Il peut aussi, avec l’accord préalable de son client, inviter un travailleur social ou tout autre professionnel à une rencontre à trois : travailleur social, par exemple, conseiller et client. Et cette rencontre à trois, même à quatre, peut aussi avoir lieu avec un membre de la famille.

Toute solution est bonne à condition de respecter la règle d’or suivante : le conseiller ne peut briser la règle de confidentialité qu’avec l’accord préalable de son client.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

Loi sur la distribution de produits et services financiers 23. Un représentant transmet à l’établissement auquel il est rattaché tous les renseignements qu’il recueille sur ses clients. Un représentant qui agit pour le compte de plusieurs cabinets les transmet à l’établissement du cabinet pour lequel il agit alors. Il ne peut les communiquer qu’à une personne qui est autorisée par la loi.

Code civil du Québec 37. Toute personne qui constitue un dossier sur une autre personne doit avoir un intérêt sérieux et légitime à le faire. Elle ne peut recueillir que les renseignements pertinents à l’objet déclaré du dossier et elle ne peut, sans le consentement de l’intéressé ou l’autorisation de la loi, les communiquer à des tiers ou les utiliser à des fins incompatibles avec celles de sa constitution; elle ne peut non plus, dans la constitution ou l’utilisation du dossier, porter autrement atteinte à la vie privée de l’intéressé ni à sa réputation.33. Lorsqu’un assureur exige d’une personne des renseignements de nature médicale ou concernant ses habitudes de vie pour procéder à l’analyse d’une proposition d’assurance, il doit les recueillir dans un formulaire distinct de celui dans lequel il recueille les autres renseignements qui lui sont nécessaires. 35. Un représentant en assurance qui agit pour le compte d’un cabinet, autre qu’un assureur, qui offre du crédit et de l’assurance doit, après avoir ou non assisté un client pour remplir un formulaire qui contient des renseignements de nature médicale ou concernant ses habitudes de vie, le transmettre malgré l’article 23 uniquement à l’assureur. Il ne peut en conserver copie ni révéler à quiconque les renseignements qui sont alors portés à sa connaissance.

36. Lorsque l’assuré qui a fourni des renseignements de nature médicale ou concernant ses habitudes de vie présente, à la suite d’un sinistre, une réclamation à un cabinet qui offre du crédit et de l’assurance plutôt qu’à l’assureur, le représentant en assurance qui assiste l’assuré ne peut révéler à quiconque les renseignements qui sont alors portés à sa connaissance.

Malgré l’article 23, il doit faire parvenir la réclamation de l’assuré et tous les documents requis à l’assureur uniquement et il ne peut en conserver copie. 37. Même avec l’autorisation d’un client, un assureur ne peut communiquer à un cabinet qui offre du crédit et de l’assurance les renseignements de nature médicale ou concernant les habitudes de vie qu’il a reçus de ce client

Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 12. L’utilisation des renseignements contenus dans un dossier n’est permise, une fois l’objet du dossier accompli, qu’avec le consentement de la personne concernée, sous réserve du délai prévu par la loi ou par un calendrier de conservation établi par règlement du gouvernement. 13. Nul ne peut communiquer à un tiers les renseignements personnels contenus dans un dossier qu’il détient sur autrui ni les utiliser à des fins non pertinentes à l’objet du dossier, à moins que la personne concernée n’y consente ou que la présente loi ne le prévoie.

Code de déontologie des représentants en assurance de dommages

(Dans une terminologie similaire, le Code de déontologie des experts en sinistre et le Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière énoncent les mêmes principes.) 23. Le représentant en assurance de dommages doit respecter le secret de tous renseignements personnels qu’il obtient sur un client et les utiliser aux fins pour lesquelles il les obtient, à moins qu’une disposition d’une loi ou d’une ordonnance d’un tribunal compétent ne le relève de cette obligation. 24. Le représentant en assurance de dommages ne doit pas divulguer les renseignements personnels ou de nature confidentielle qu’il a obtenus autrement que conformément à la Loi, ni les utiliser au préjudice de son client ou en vue d’obtenir un avantage pour lui-même ou pour une autre personne.

Cet article est tiré de l’édition de novembre du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.