Le facteur F

27 octobre 2011 | Dernière mise à jour le 27 octobre 2011
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Les femmes préfèrent-elles travailler avec une conseillère?

Que Sherri Hoover fasse une présentation à un groupe mixte d’entrepreneurs ou à un événement réservé aux femmes, son conseil de base reste le même : pour commencer, faites-vous un plan.

Même si son pitch demeure identique, cette conseillère associée aux Services Financiers Groupe Investors récolte pourtant une assistance clairsemée lorsque le groupe est mixte – et une réponse enthousiaste lorsqu’elle s’adresse à des femmes seulement.

Sherri Hoover a remarqué autre chose au sujet des femmes qui viennent à son bureau de Vancouver, où elle évolue aux côtés de son oncle Ross Mckenzie. Les nouvelles clientes vont assister à une rencontre avec toute l’équipe, mais lorsque ses collègues masculins quittent la pièce, leur comportement change. « C’est comme si on s’attardait alors pour conclure la rencontre, je reste à l’écart pour en fixer une suivante. Et là, de nouvelles questions fusent. »

En général, les clientes ne diront pas à voix haute qu’elles recherchent « un conseiller femme », mais « s’il n’y a que moi dans la pièce, elles sont beaucoup plus ouvertes ». Il n’est pas rare que les rencontres s’étirent une demi-heure de plus, puisqu’elles sont désireuses de « revenir sur un aspect ou un autre ».

L’expérience de Sherri Hoover soulève cette question de fond : les femmes sont-elles à l’aise de parler argent uniquement en présence d’autres femmes?

Dans la pratique, les expériences varient. Teresa Black Hughes, associée chez Solguard Financial Ltd et dans l’industrie depuis trois décennies, affirme que ses clientes préfèrent pour la plupart avoir une conseillère. Même celles référées au cabinet par des clients masculins insisteront pour travailler avec une femme, parce qu’elles jugent que celles-ci se comprennent mieux entre elles, explique-t-elle.

Mais pour Barbara Stewart, ce n’est même pas une préoccupation. Cette gestionnaire de portefeuille et CFA chez Cumberland Private Wealth Management à Toronto a commandé à la firme de recherche Angus Reid une étude sur les Canadiennes et leurs finances. Le document qui en est résulté en 2010, The Financial Lives of Girls and Women, conclut que les femmes gèrent leurs finances avec assurance, et que cette confiance grandit à mesure qu’elles gagnent en âge.

Et quand elles sont à la recherche d’un conseiller, souligne Barbara Stewart, les femmes veulent d’abord quelqu’un de compétent qui partage leurs valeurs.

Le genre n’est pas non plus un souci pour Brian Himmelman, confie-t-il depuis Halifax. Plusieurs de ses clientes, en particulier les jeunes professionnelles, arrivent avec une idée claire de leurs objectifs financiers et désirent simplement les services d’un professionnel pour les aider avec l’exécution de leur plan, résume le conseiller en placement et planificateur financier agréé à Himmelman & Associates.

Les clientes qui souhaitent recourir à une conseillère, elles, placent l’écoute au sommet de leur liste d’attentes. Plusieurs arrivent au bureau de Sherri Hoover la tête pleine de doutes quant à leurs décisions d’investissement, confie-t-elle. Les conseillères offrent un cadre rassurant où poser ses questions.

Il importe aussi à certaines que leur conseiller comprenne autant leurs buts personnels que financiers, ajoute Teresa Black Hughes. Et celles qui veulent obtenir de l’information désirent aussi « se sentir à l’aise de ne pas tout connaître et [savoir] qu’elles apprendront pendant que nous serons ensemble ».

Fournir cette éducation, poursuit l’associée, requiert un élément qui transcende les genres : la confiance. La majeure partie de ses clients provient de références. Une fois de plus, Teresa Black Hughes insiste sur l’importance des valeurs communes. « Ma clientèle est surtout composée de cynophiles (qui aiment les chiens), de sportifs et de passionnés de l’Europe. Autant graviter autour de gens qui vous comprennent. »

La confiance, fait observer Brian Himmelman, peut aussi permettre de conserver une relation à long terme avec les clientes après un divorce ou la mort d’un époux, même si la « business » provenait d’abord du mari. Une situation qu’il a vécue avec plusieurs clientes de longue date.

Reste que les conseillères ont souvent une meilleure vision d’ensemble des impératifs et exigences avec lesquels les femmes jonglent chaque jour, selon Teresa Black Hughes. « Elles comprennent que la façon d’aider les femmes à gérer leur stress est de leur fournir une information claire sur les objectifs de la famille, que vous-même essayez d’atteindre au-delà des chiffres. »

Les conseillers pourraient donc réajuster la façon dont ils approchent les clientes en choisissant mieux les informations qu’ils leur relaient, établit encore le document de Barbara Stewart. « Plusieurs femmes préfèrent en apprendre sur les questions fondamentales et ensuite s’en référer à un conseiller avisé pour les détails, peut-on y lire. Quand les femmes disent qu’elles savent comment gérer leur argent, pour plusieurs cela signifie ‘’je sais gérer ma relation avec mon conseiller”. »

Sans compter que les femmes investissent différemment en 2011. « De nos jours, les couples font les choses séparément, remarque Sherri Hoover. J’ai des cas où seule l’épouse est cliente. » Ce changement peut rendre le travail d’un conseiller plus compliqué. « C’est alors difficile d’ignorer le fait qu’elle est mariée et qu’elle a des actifs partagés, poursuit-elle. Ne pas connaître l’ensemble du portrait influe sur la justesse du plan financier. »

Selon Brian Himmelman, c’est la personnalité, et non le sexe, qui dicte souvent qui détient les rênes du patrimoine familial. « Si l’épouse a une personnalité plus dominante, elle risque fort de s’occuper des finances, observe-t-il. Souvent, la femme est la chef des finances de la famille. »

Les conseillères ont beau offrir une base commune et un cadre sécurisant aux investisseuses, rien ne garantit que la relation conseillère-cliente durera. Barbara Stewart a perdu une fidèle cliente plus âgée qui s’est tournée vers un jeune conseiller. « C’est arrivé subitement, se rappelle-t-elle. Elle a déplacé ses actifs pour acheter une pension à un vendeur de 29 ans. C’était pourtant le contraire de ce à quoi on pourrait s’attendre : changer de conseiller parce que ce dernier est jeune et séduisant. Les clients peuvent vous cacher la raison exacte pour laquelle ils choisissent de traiter soudainement avec quelqu’un d’autre. »

Ces raison – argent, valeurs communes ou expérience féminine – varient, mais un seul facteur distingue le conseiller qui répond aux besoins de son client. « Au final, je serai évaluée sur ma compétence, rappelle Teresa Black Hughes. Et on la retrouve chez les deux sexes. »

Terri Goveia est une journaliste indépendante qui vit à Toronto.

Cet article est tiré de l’édition d’octobre du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.