Léopold Beaulieu : une vie au service de l’économie solidaire

Par André Giroux | 9 décembre 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Léopold Beaulieu, PDG de Fondaction.
Léopold Beaulieu, PDG de Fondaction.

Léopold Beaulieu tirera bientôt sa révérence; il peut partir avec le sentiment du devoir accompli. Ayant participé à la création de la Caisse d’économie des travailleurs réunis de Québec, le fondateur de Fondaction a aussi contribué aux débuts du développement durable au Québec. Portrait d’un homme dont la réputation n’est plus à faire.

En 1968, la mutuelle SSQ Assurance offre son premier emploi à Léopold Beaulieu. « Je souhaitais travailler dans une mutuelle et qu’on y retrouve un syndicat », explique, en entrevue avec Conseiller, ce père de trois filles qui vit en couple avec la même conjointe depuis… 1968. Une bonne année pour lui!

« Le choix de la SSQ s’expliquait par ma conviction que la démocratisation de l’économie doit passer par la présence de l’État, des entreprises à capital-actions, mais aussi des entreprises collectives. »

Son emploi à la SSQ amène Léopold Beaulieu à explorer de l’intérieur les structures organisationnelles du syndicat de la mutuelle : la CSN. Il représente notamment les employés de la SSQ au conseil central de Québec-Chaudière-Appalaches et assume le rôle de vice-président responsable de la formation à la Fédération du commerce jusqu’en 1973.

Sa participation à un comité de travail du conseil central l’amène à contribuer à la création de la Caisse d’économie des travailleurs réunis de Québec, devenue la Caisse d’économie solidaire Desjardins, la principale institution spécialisée en financement bancaire d’entreprises d’économie sociale. Léopold Beaulieu la dirige de 1971 à 1976 et est le vice-président de la Fédération Desjardins des caisses d’économie du Québec jusqu’à 2000.

LES DEUX PIEDS DANS LE SYNDICALISME

En 1976, Léopold Beaulieu est élu trésorier de la CSN, poste qu’il occupera pendant 20 ans. Il prend alors l’initiative d’une réflexion qui mènera à la fondation, en 1987, de Bâtirente, un régime de retraite pour les travailleurs qui en sont dépourvus.

Sa plus grande contribution à la société québécoise et à l’économie solidaire reste sans doute la création de Fondaction en janvier 1996, après une bataille de huit ans. « Il a fallu démontrer la pertinence de notre projet au gouvernement, précise Léopold Beaulieu. L’État voulait aussi que le Fonds de solidarité FTQ, lancé en 1984, puisse prendre son envol avant de donner son aval à un nouveau fonds de travailleurs. »

« En 1987, j’ai lu un article de Louis-Gilles Francoeur, dans le quotidien Le Devoir, qui traitait d’un rapport international abordant pour la première fois le concept de développement durable : le rapport de la commission Brundtland. Cela reflétait mes convictions. J’ai alors décidé de travailler au décollage d’un fonds de travailleurs qui viserait au maintien et à la création d’emplois dans une perspective de développement durable. C’est cette distinction qui a amené la CSN à soutenir le projet », raconte M. Beaulieu.

L’ENVIRONNEMENT DANS LA MIRE

Fondaction offre ainsi aux Québécois un REER sous forme de fonds de travailleurs. L’épargne recueillie est investie dans les PME d’ici. En tenant compte des crédits d’impôt appliqués selon les périodes (20 % au provincial et 15 % au fédéral), et ce, sans considérer la déduction fiscale reliée au REER, un actionnaire y ayant souscrit par épargne systématique a bénéficié de l’équivalent du rendement composé annuel de 12,9 % pour une période de 10 ans au 31 mai 2019.

Fondaction n’est pas un fonds spécialisé en environnement, mais un fonds généraliste qui accompagne les entreprises dans l’intégration des enjeux liés au développement durable dans leurs activités. « Nous avons deux urgences d’agir : réduire les inégalités et combattre les changements climatiques », résumait Yves Robitaille, coordonnateur à la formation, à l’information et à la conformité à Fondaction, lors du Grand rendez-vous des responsables Fondaction en septembre dernier.

« Fondaction est le plus important fonds [consacré] au développement durable au Québec », écrit l’organisme dans son rapport annuel 2018-2019.

Le fonds investit sous forme de capital patient plus de 60 % de son actif directement dans des PME québécoises ainsi que dans des fonds partenaires ou spécialisés qui interviennent, eux aussi, sur l’ensemble du territoire de la province dans une perspective de développement durable. La totalité des émissions de GES de l’organisme est également compensée par l’achat de crédits carbone.

Fondaction a aussi commandé la création d’un indice boursier pistant les entreprises de l’économie verte. « En collaboration avec nos gestionnaires de portefeuille, nous avons sollicité MSCI, une entreprise de services financiers travaillant notamment à la construction d’indices boursiers, afin de créer de toutes pièces un indice qui répondrait à ces préoccupations environnementales grandissantes », explique Léopold Beaulieu.

Accessible à tous les gestionnaires de portefeuille, l’indice MSCI ex-fossile, ex-charbon exclut les titres d’entreprises détenant des réserves d’énergie fossile (gaz, pétrole et charbon). Créé en 2015 dans la foulée de l’Accord de Paris sur le climat, « cet indice a permis à Fondaction de maintenir ses rendements sur les marchés financiers tout en réduisant les risques face aux changements climatiques », souligne M. Beaulieu.

Au 31 mai 2019, Fondaction était totalement retiré du financement d’entreprises détenant des réserves d’énergie fossile.

DÉTACHÉ DE LA CSN

Le PDG de Fondaction clame l’indépendance de l’organisme face aux instances syndicales, malgré qu’il soit situé à un jet de pierre du siège social de la CSN, à Montréal, et que se retrouvent à son conseil d’administration (CA) trois dirigeants syndicaux sur 15 membres, dont deux sont désignés par l’exécutif de la CSN (notamment le président de la centrale syndicale, Jacques Létourneau) et l’autre est élu par l’assemblée générale de Fondaction.

« Il est vrai qu’il existe une présence syndicale au conseil d’administration de Fondaction et que les employés y sont syndiqués, et c’est très bien ainsi, mais il n’y a jamais eu et il n’y a pas de contrôle de la CSN sur les actions de Fondaction », explique Léopold Beaulieu.

« Fondaction est une institution d’une autre nature que celle d’une organisation syndicale. Le capital sous gestion ne provient pas de la CSN. En matière de gouvernance, il est donc apparu normal d’y retrouver une majorité d’indépendants et de distinguer la gouvernance des opérations. Nous offrons du financement à l’ensemble des entreprises québécoises et des produits d’épargne à tous les Québécois, sur une base individuelle ou sur une base collective à partir des lieux de travail, [pas seulement ceux liés à la CSN] », souligne-t-il.

LA RETRAITE? OUI, MAIS…

Outre les institutions créées à l’initiative de la CSN ou de Fondaction, Léopold Beaulieu, à 73 ans, est encore engagé auprès de nombreuses institutions de développement économique et social. Par exemple, il est coprésident de l’Association internationale du logiciel libre, un organisme au service de la finance solidaire et coopérative dont le conseil d’administration est composé de représentants de mutuelles, de coopératives et d’autres institutions d’économie sociale françaises et québécoises. M. Beaulieu siège également au conseil d’administration de ESS Forum international, qui promeut l’économie sociale et solidaire.

À l’heure de la retraite, il affirme que sa plus grande fierté est la reconnaissance de l’engagement de Fondaction en matière de développement durable. « J’ai depuis toujours une réflexion sur l’importance d’un développement économique [plus juste et plus écologique] », conclut-il.

André Giroux