L’individualisme, cancer de la finance

Par Frédérique David | 22 juillet 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Luca Bertolli / 123RF

L’action individuelle est la principale cause des maux qui affligent l’économie, plus particulièrement la finance. C’est la thèse que défend l’économiste français Jean Tirole dans Économie du bien commun. En 640 pages rédigées pour le grand public, l’auteur et prix Nobel d’économie 2014 vulgarise cette science qui le passionne et explique pourquoi nous sommes responsables des problèmes qu’elle connaît.

Il expose en 17 chapitres les rapports de la société à l’économie, les rôles de l’État, du marché et des économistes, les défaillances du marché et les défis actuels (enjeux climatiques, chômage, construction de l’Union européenne et crise de l’euro, etc.).

Pour Jean Tirole, les problèmes rencontrés dans le monde de la finance sont attribuables à des décisions humaines qui vont à l’encontre des intérêts collectifs. C’est ce qu’il explique dans les deux chapitres consacrés à la finance et à la crise de 2008.

DES ACTEURS RATIONNELS?

L’intérêt particulier diverge souvent de l’intérêt collectif, constate Jean Tirole, et c’est ce qui explique certaines décisions financières qu’il juge irrationnelles.

« Les acteurs d’un système économique peuvent se comporter rationnellement de leur propre point de vue, mais le résultat peut être nuisible du point de vue de la collectivité dans son ensemble », explique l’économiste.

Jean Tirole. (Photo : TSE - Stéphanie Renard)

Jean Tirole. (Photo : TSE – Stéphanie Renard)

Par exemple, « il est possible qu’une banque puisse continuer à emprunter malgré sa prise de risque si les prêteurs pensent que l’État viendra sauver la banque en cas de difficultés. Dans ce cas, la divergence entre intérêt individuel et collectif est claire », illustre l’auteur.

Dès lors, une rigueur accrue dans la régulation s’impose et nécessite la surveillance du « développement du secteur financier moins ou pas régulé (qui, théoriquement, n’a le droit ni à l’assurance dépôt, ni à l’accès à la liquidité de la banque centrale) ».

Il cite notamment l’exemple de cinq grandes banques d’affaires (Lehman Brothers, Bear Stearns, Merrill Lynch, Goldman Sachs et Morgan Stanley) surveillées par seulement six personnes en 2008.

INNOVATIONS = RISQUES SUPPLÉMENTAIRES

Outre les comportements irrationnels, l’existence de produits toxiques est un autre facteur qui, selon l’auteur, prouve que la supervision de la finance est incontournable. Bien qu’il insiste sur « la nécessité de la finance pour l’organisation de la société », puisqu’elle permet de soutenir monétairement les entreprises, les ménages et les États, Jean Tirole souligne que ses « instruments complexifient la supervision du système financier ».

Selon lui, ce qui est qualifié d’innovation financière est souvent « un moyen de contourner les règles et de faire supporter des risques importants à des acteurs (les petits investisseurs, les contribuables) qui n’en ont pas demandé tant ».

economie_bien_commun_livreMais loin de vouloir rejeter les instruments financiers modernes, Jean Tirole insiste plutôt sur la nécessité d’un débat sur les défaillances des marchés et de la régulation.

« Il n’est pas question de revenir ni sur le principe de la titrisation ni sur les produits dérivés, explique-t-il, mais il faut revenir aux fondamentaux de l’économie et empêcher les dérives que ces pratiques peuvent occasionner. »

QUE FAUT-IL SURVEILLER?

Afin d’éviter le pire, il faut certes superviser le monde des créances, mais aussi celui des actions. « Au-delà des fraudes diverses, dont les autorités surveillant les marchés financiers sont supposées protéger les épargnants, se pose la question de savoir si les [décisions des acteurs du monde financier] suffisent à rendre les marchés efficients », écrit Jean Tirole.

Les crises financières, mais aussi les bulles immobilières et boursières, la volatilité des taux de change ou les fluctuations rapides des prix des actions, des matières premières et des produits de taux amènent notamment l’auteur à douter de la rationalité des acteurs des marchés financiers.

Jean Tirole prévient qu’il n’existe pas de solution miracle, mais que des mesures utiles peuvent être mises en place pour éviter une crise financière comme celle de 2008. Outre une plus grande surveillance des marchés financiers, l’auteur suggère « une plus grande distance entre évaluateurs (les agences de notation, les superviseurs) et évalués (les banques) », ceci afin d’éviter le danger de pression et de collusion.

Il dénonce notamment les modèles internes d’évaluation des risques utilisés par les banques, qui se montrent peu scrupuleuses à tromper le régulateur, selon lui.

Économie du bien commun, Jean Tirole, Presses Universitaires de France, 2016, 640 pages.

Frédérique David