L’intérêt des obligations vertes

Par Rémi Maillard | 5 avril 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Alors que le gouvernement du Québec vient d’émettre ses premières obligations vertes, notamment pour mener à bien des projets de transport public, l’Institut de recherche en économie contemporaine rappelle l’importance de cet outil dans le financement de la transition vers une économie plus « verte ».

Dans une « note d’intervention » publiée hier, l’IREC soutient que ces obligations ont notamment « la capacité d’apparier plus efficacement les différents acteurs, c’est-à-dire les émetteurs et les investisseurs, préoccupés par les impératifs climatiques », et cela dans le but d’accroître le rôle de l’épargne privée, en particulier celle engagée pour financer la transition énergétique.

En effet, notent Gilles Bourque, François L’Italien et Robert Laplante, chercheurs à l’IREC, le secteur privé peut aujourd’hui difficilement financer à lui seul ce type d’investissements « puisque les rendements sont trop longs ou trop faibles pour intéresser des acteurs orientés trop souvent sur le court terme et sur la maximisation des profits ». Mais d’un autre côté, ajoutent-ils, les pouvoirs publics n’ont pas suffisamment de moyens, en raison de leur base fiscale limitée, pour être en mesure de mener à bien leur mission de financer une grande partie des infrastructures requises pour répondre aux enjeux climatiques.

POURQUOI DES OBLIGATIONS VERTES?

Ce type d’outil a retenu l’attention de l’Organisation de coopération et de développement économiques, qui a produit plusieurs documents pour tenter de trouver des solutions concrètes dans ce contexte de « marché inadéquat ». L’OCDE estime ainsi que pour préserver l’intégrité de l’environnement et soutenir les efforts d’adaptation aux changements climatiques et d’atténuation de leurs effets (c’est-à-dire essayer de limiter la hausse des températures en dessous de 2 oC), il faudrait par exemple investir chaque année environ 840 G$ d’ici à 2020 à l’échelle mondiale, et jusqu’à 4 340 G$ à l’horizon 2031-2035.

Rappelant que l’univers des émissions nettes d’obligations pour les quatre plus grands marchés couverts que sont la Chine, les États-Unis, le Japon et l’Union européenne, était estimé, en 2014, à 19 000 G$, l’IREC relève que les besoins d’investissement dans les infrastructures écologiques pour lutter efficacement contre les changements climatiques n’apparaissent donc « pas irréalisables », même si, pour l’heure, les émissions d’obligations vertes pour financer la transition sont à mille lieues des besoins financiers évalués par l’OCDE.

DES RÉSULTATS ENCORE MODESTES

La solution? Afin de « faciliter l’émergence d’un marché plus robuste » pour ce type d’instrument financier, l’Organisation « encourage les gouvernements et les diverses parties prenantes à corriger les inadéquations entre l’offre et la demande de titres de dette, entre des investisseurs (en particulier les investisseurs institutionnels) préoccupés par les enjeux climatiques et des émetteurs désireux de financer des projets ayant de réels impacts environnementaux », écrivent les chercheurs de l’institut de recherche montréalais.

Toutefois, admettent-ils, les résultats demeurent pour l’instant modestes. Ainsi, depuis la première tentative réalisée par la Banque mondiale en 2007, les émissions d’obligations vertes « labellisées » (voir l’encadré) ont dépassé la barre du milliard de dollars en 2010 (3,9 G$), puis celle des 10 milliards en 2013 (11 G$), puis finalement celle des 80 milliards en 2016 (81 G$).

Aujourd’hui, les estimations les plus récentes font état d’un total de 118 G$ qui se répartit entre plusieurs secteurs : 49 % de la valeur des encours est multisectorielle (c’est-à-dire que les émissions couvrent des projets concernant plusieurs secteurs); 27,8 % vise le secteur des énergies renouvelables; 9,2 % le secteur de l’immobilier et de l’industrie; 7,3 % le secteur du transport. Arrivent ensuite, par ordre d’importance, le traitement de l’eau (6,2 %), la gestion des déchets (0,4 %) et l’agriculture et la forêt (0,1 %).

…MAIS EN RAPIDE PROGRESSION

À ces obligations vertes labellisées s’ajoutent toutefois « les obligations alignées avec les impératifs climatiques », qui concerne « les émissions qui ont des impacts environnementaux significatifs, mais dont les émetteurs ne procèdent pas à des processus de certification », indique l’IREC.

Selon la Climate Bond Initiative (CBI), un organisme créé en 2008 qui a pour mission de classer les activités pouvant être qualifiées de « vertes » et de développer des guides de conduite par secteur (solaire, éolien, bâtiments, transports de passagers, etc.), ce marché prend rapidement de l’ampleur.

L’an dernier, le marché global des obligations environnementales aurait ainsi représenté des encours de titres de dette d’une valeur de 694 G$, comparativement à 598 G$ en 2015, le tout pour couvrir des projets dont la réalisation aurait permis de diminuer les risques climatiques. «[…] leur part dans l’encours total serait passée de 3 % en 2013 à 17 % en 2016. Autrement dit, le processus de certification des obligations environnementales s’impose dans les pratiques et progresse rapidement », notent les chercheurs de l’Institut.

« LE CANADA EST LOIN DU COMPTE »

Si le marché des obligations vertes « reste encore embryonnaire au Canada », il progresse néanmoins lentement, constate l’IREC, qui relève que « les premières et plus importantes émissions d’obligations vertes canadiennes labellisées ont eu lieu en 2014 et ont été le fait du gouvernement de l’Ontario », qui en a émis pour une valeur de 500 M$, tandis qu’Exportation et développement Canada (500 M$) et la Banque TD (300 M$) étaient les deux autres plus importants pourvoyeurs dans ce domaine. Résultat : l’univers des obligations vertes labellisées émises au pays atteignait un encours total de 2,9 G$ en 2016.

Ce à quoi il faut ajouter les obligations non labellisées, qui « pèsent » 30 G$ et se répartissent dans plusieurs domaines : 61 % couvrent des émissions du secteur des énergies, 28 % celui du transport, et 11 % d’autres secteurs de la classification CBI.

Ce total reste « très modeste si l’on considère que les gouvernements et les sociétés ont émis, pour la seule année 2016, près de 181 G$ de titres obligataires au Canada », remarquent les auteurs de la note. Ceux-ci rappellent qu’avec des encours d’obligations climatiques de 32,9 G$, comprenant les 2,9 G$ en obligations vertes émises depuis 2014, « l’effort canadien n’est sûrement pas à la hauteur de l’urgence d’agir en ces matières », puisque « les estimations des besoins d’investissement en infrastructures vertes se chiffreraient entre 21 et 43 G$ annuellement à l’horizon 2050 ». Conclusion de Gilles Bourque, François L’Italien et Robert Laplante : « Le Canada est encore loin du compte. »

LE QUÉBEC AUSSI EST DANS LA COURSE

Au Québec, en 2014, les plus importants émetteurs d’obligations alignées avec les impératifs climatiques, donc non labellisées, ont été Hydro-Québec (15,9 G$, soit le plus important encours dans le secteur de l’énergie), Cascades (1,7 G$) et la Société de transport de Montréal (668 M$). Plus récemment, le gouvernement provincial a également procédé à l’émission d’obligations vertes certifiées pour une valeur de 500 M$.

Fait intéressant, l’opération a pour la première fois été certifiée par une organisation québécoise. Elle a été faite dans le cadre du nouveau programme québécois d’obligations vertes, visant à recueillir des capitaux pour les affecter à « des projets spécifiques qui engendrent des bénéfices tangibles au Québec en matière de protection de l’environnement, de réduction des émissions de GES ou d’adaptation aux changements climatiques ».

Selon Québec, l’émission inaugurale d’obligations vertes aura un rendement prévu identique à celui des autres obligations ordinaires du gouvernement provincial, soit 1,67 %. À noter que les projets financés par ces obligations ont été choisis parmi ceux qui figurent dans le Plan québécois des infrastructures (nouvelles rames de métro Azur, programme de rénovation du métro de Montréal et achat d’autobus hybrides).

DES RENDEMENTS INTÉRESSANTS

Citant une récente analyse effectuée par la Banque TD, les chercheurs de l’IREC indiquent que « la relative popularité actuelle des obligations vertes tient beaucoup au fait que, pour nombre d’entre elles, elles offrent un rendement supérieur à celui des obligations d’États de référence, qui sont extrêmement faibles, voire négatifs dans le cas de certains pays ».

Cependant, nuancent-ils, « le contexte actuel laisse supposer que ces taux sont appelés à remonter plus rapidement que prévu, ce qui laisse aussi présager que les obligations vertes devront affronter une concurrence accrue ». Par ailleurs, ajoutent-ils, la hausse probable des taux laisse à penser que « les investisseurs vont tendre à accorder une plus grande place dans leur portefeuille aux titres qui, comme les actions, produisent un meilleur rendement ». Résultat, les émetteurs auront davantage de difficulté à répercuter les coûts de la certification « verte » sur les investisseurs, ce qui pourrait rendre ces obligations « un peu moins concurrentielles ».

Malgré tout, conclut l’IREC, « les obligations vertes conservent des avantages certains, dont celui de sensibiliser les intervenants aux enjeux climatiques et environnementaux et de permettre aux investisseurs les plus engagés de soutenir les initiatives écologiques ».

Les différentes obligations sur le marché

S’il n’existe pas de définition réglementaire de ce qu’est une obligation « verte », la Climate Bond Initiative (CBI) en propose cependant deux, qui sont complémentaires.

LES OBLIGATIONS CERTIFIÉES VERTES

Ce sont des émissions obligataires effectuées par une entreprise, une entité publique ou une organisation internationale qui sont expressément destinées à financer des projets ou des activités générant un bénéfice environnemental direct et qui répondent à un certain nombre de principes les encadrant.

Ainsi, les émetteurs doivent par exemple justifier que les fonds recueillis sont destinés à un projet générant un bénéfice environnemental; assurer l’intégrité des fonds recueillis par les émissions; fournir de l’information, au moins une fois par an, sur la conduite et sur l’impact environnemental des projets financés.

Telles que définies, ces obligations vertes font l’objet d’une certification par un organisme indépendant pour garantir aux investisseurs le respect de ces principes. Les deux plus importants organismes certificateurs sont la CBI et les Green Bonds Principles, créés plus récemment.

LES OBLIGATIONS ALIGNÉES AVEC LES IMPÉRATIFS CLIMATIQUES

Ces obligations environnementales, dont la définition est plus large que celle des obligations certifiées vertes, concernent toutes les émissions associées à des projets contribuant à une économie décarbonisée et adaptée aux changements climatiques, mais dont les émetteurs ne sont pas engagés dans des processus de certification.

Sur la base de sa classification, la CBI présente ces produits de dettes comme des obligations alignées avec les impératifs climatiques (climate-aligned bonds) pour les distinguer des obligations vertes labellisées.

L’organisme identifie six grandes catégories d’émetteurs :

  • √ les premiers, qui sont restés les plus importants jusqu’en 2015, ont été les grandes banques de développement;
  • √ en 2016, les banques commerciales et les entreprises sont devenues les plus grands émetteurs d’obligations vertes;
  • √ viennent ensuite, par ordre d’importance, les municipalités, régions et provinces, les émissions adossées à des actifs (des infrastructures vertes) ainsi que les États souverains.

Source : IREC.

Rémi Maillard

Journaliste multimédia. Santé, environnement, société, finances personnelles. Également intéressé par les affaires publiques, les relations internationales, la culture… Passionné de cyclisme.