Monique Jérôme-Forget, chantre du régime de passeport en valeurs mobilières

16 octobre 2007 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Dans une allocution prononcée lundi dernier à Montréal dans le cadre de la deuxième édition des Rendez-vous de l’AMF, la ministre québécoise des Finances, Monique Jérôme-Forget, a encore une fois vanté les mérites du régime de passeport en valeurs mobilières.

« Le passeport se fonde sur ce qui fonctionne bien. Il permettra d’éliminer tout chevauchement des tâches administratives avec autant d’efficacité qu’un organisme de réglementation unique. Il permettra d’obtenir un résultat plus rapidement, et ce, à un coût moindre, sans créer un autre débat constitutionnel », a indiqué la ministre, invitée à prendre la parole dans le cadre des Rendez-vous de l’Autorité des marchés financiers.

En effet, son homologue fédéral, Jim Flaherty, a laissé entendre récemment qu’Ottawa pourrait demander à la Cour suprême du Canada de statuer sur la compétence constitutionnelle du gouvernement fédéral en matière de valeurs mobilières. Cette éventualité est d’autant plus surprenante que la compétence des provinces en cette matière a toujours été reconnue par le tribunaux de toutes instances.

« Cette prise de position du gouvernement fédéral laissera plus qu’un goût amer. Le premier ministre du Canada devrait mettre en pratique le fédéralisme d’ouverture qu’il prêche plutôt que de référer le dossier aux tribunaux », a déclaré Monique Jérôme-Forget.

La ministre a invité Jim Flaherty à user de son influence « pour encourager l’Ontario » à adopter le régime de passeport, plutôt que de se lancer dans une chicane politique qui risque de braquer toutes les provinces. Mais l’Ontario, seule province qui prône l’instauration d’une agence unique pancanadienne de réglementation des valeurs mobilières, ne veut rien entendre d’un régime de passeport. Il serait surprenant qu’elle revienne sur sa décision. Cela désole Monique Jérôme-Forget, qui souligne que l’Ontario était, à l’origine, le promoteur du passeport.

Elle s’est également offusquée de l’ingérence du Fonds monétaire international(FMI)dans ce débat. En visite au pays en juin dernier, Rodrigo de Rato, directeur général du FMI, avait déclaré: « Le Canada a une économie très sophistiquée. Mais votre marché financier n’est pas à la hauteur. Cela ne vous avantage pas. Vous devriez vous demander pourquoi et quelles sont les occasions que vous ratez ainsi. » Il a avait ajouté: « Si le Canada se dotait d’un organisme unique de réglementation des valeurs mobilières, les firmes canadiennes auraient un meilleur accès aux sources de financement. »

Ces affirmations avaient fait sourciller Québec à l’époque, mais le gouvernement avait passé l’éponge. Ce n’étaient que des paroles, en définitive. Or, à la grande surprise de la ministre, un rapport préliminaire du FMI suggère de « façon claire et précise » la création d’une commission des valeurs mobilières unique au Canada. « Comment expliquer une telle intervention du FMI dans un dossier alors que la Banque Mondiale et l’OCDE classent le Canada en tête de peloton quant à la qualité de la réglementation des valeurs mobilières? […] Le lien étroit entre le ministère des Finances du Canada et le FMI en est certainement l’une des raisons. Des pressions ont certainement été exercées par le gouvernement fédéral pour encourager une telle intrusion du FMI dans nos débats internes », a tonné Monique Jérôme-Forget.

Elle a rappelé que le système actuel se compare avantageusement à tout ce qui existe ailleurs. En 2006, a-t-elle dit, une étude de la Banque mondiale et de Lex Mundi a classé le Canada au 3e rang mondial sur 155 pays pour ce qui est de la protection des épargnants. Les États-Unis étaient classés au 7e rang et le Royaume-Uni au 9e rang. En outre, dans son rapport de 2006, l’OCDE a classé le Canada au 2e rang sur 29 pays en termes de qualité de la réglementation des valeurs mobilières, devant les États-Unis(4e), le Royaume-Uni(5e)et l’Australie(7e).

« Il est surprenant qu’avec de tels résultats, le gouvernement fédéral continue de dénigrer le système de réglementation canadien tant à l’intérieur de nos frontières qu’à l’étranger. C’est ce que j’appelle se tirer dans le pied. »

Après avoir déboulonné trois mythes au sujet de la compétitivité du marché canadien des capitaux(cherté et lourdeur du système actuel, coûts de financement accrus que doivent absorber les entreprises et coûts de transaction supplémentaires sur le marché secondaire), Monique Jérôme-Forget a analysé les limites du système américain, que l’on cite souvent en exemple d’efficacité. Or, « la [Securities and Exchange Commission] n’a pas épargné les Américains et autres investisseurs des débâcles d’Enron, de Global Crossing, de Tyco, et plus récemment de la crise des subprime », a-t-elle fait remarquer.

Elle a terminé son allocution en insistant sur cinq points.

1. La structure du secteur financier canadien a une influence marquée sur les activités et la compétitivité de nos marchés financiers. « Son évolution vers une industrie très concentrée ne connaît pas de parallèle au sein des pays industrialisés », a noté Monique Jérôme-Forget. Les répercussions quant à l’efficacité et à la compétitivité des marchés financiers canadiens sont énormes et doivent être prises en considération de façon appropriée dans le cadre de l’élaboration de politiques.

2. Les études empiriques démontrent que le Canada « se classe parmi les meilleurs pays en ce qui concerne la qualité de la réglementation dans le domaine des valeurs mobilières et de la protection des investisseurs », a souligné la ministre. Le gouvernement fédéral devrait cesser de dénigrer le système actuel, notamment à l’étranger. « Une évaluation plus positive est clairement justifiée. »

3. L’appareil réglementaire canadien s’est adapté à l’évolution de la structure de l’industrie. En raison de la très haute concentration dans certains secteurs, notamment les échanges et les chambres de compensation, cet appareil est devenu, de fait, national quant à sa portée lorsque cela s’est avéré nécessaire. De plus, les commissions canadiennes des valeurs mobilières ont adopté des mécanismes qui, dans les faits, donneront accès à un guichet unique.

4. À la suite de ces initiatives, le niveau d’harmonisation des lois sur les valeurs mobilières au Canada permettra de créer un système vraiment national. Notre réglementation dans le domaine des valeurs mobilières « est aussi uniforme que celle en vigueur aux États-Unis malgré le fait que les provinces ont maintenu leur compétence en la matière », a indiqué Monique Jérôme-Forget. L’efficience de ce « remarquable exemple de coopération interprovinciale » a été démontrée au moyen de comparaisons internationales et d’études empiriques. Le régime de passeport se développe à partir de ce qui fonctionne déjà. Il permettra d’éliminer la duplication des tâches administratives de façon aussi efficace qu’un organisme de réglementation unique, a-t-elle dit. Le processus sera plus rapide, moins coûteux et sans les querelles constitutionnelles dont nous pouvons tous nous passer.

5. Selon elle, la majeure partie des critiques soulignent les lacunes au niveau de l’enforcement. Dans ce domaine, « le gouvernement du Canada a un rôle important à jouer », a conclu la ministre.

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