Quelle différence entre la planification du « pipeline » et celle du paragraphe 164(6) ­LIR dans le règlement d’une succession?

2 avril 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
5 minutes de lecture
Elena Blokhina / 123RF

Dans le cadre du règlement d’une succession, le liquidateur est en droit de vendre, aliéner ou transférer les biens légués à titre de legs résiduaire dans le cas où les pouvoirs de pleine administration ont été prévus au testament. En conséquence, dans le cas du legs résiduaire incluant des actions d’une société de portefeuille, les planifications du paragraphe 164(6) ­LIR ou celles de la technique communément appelée « pipeline » sont généralement recommandées par les fiscalistes. Elles permettent d’éviter une double, voire une triple imposition générée par la transmission d’actions à un bénéficiaire lors d’un décès. Voyons ce qu’il en est avec un exemple concret.

­SITUATION DE M. TREMBLAY

Le testament de M. Tremblay, décédé en 2016, prévoit un legs résiduaire des actions de la société (de portefeuille) « 123456 ­Canada ­inc. » en faveur de sa fille. Les actions ont déjà été transférées par la succession à la fille en vertu d’une déclaration de transmission notariée. Les actifs de la société sont presque entièrement des titres boursiers.

En vertu du paragraphe 70(5) ­LIR, M. Tremblay est réputé avoir disposé de ses actions dans la société à leur juste valeur marchande, soit 500 000 $, immédiatement avant son décès. Cette disposition réputée provoquera donc un gain en capital d’environ 500 000 $[1] entraînant des impôts de l’ordre de 133 250 $[2].

Quant à sa fille, le prix de base rajusté des actions de la société dont elle héritera sera égal au produit de disposition réputé de son père, soit 500 000 $. Si aucune stratégie n’est prévue et que la fille décide dans l’avenir de sortir les actifs (liquidités) de la société en sa faveur, par exemple en se déclarant un dividende « ordinaire », elle sera à son tour imposée sur un dividende de 500 000 $, provoquant un impôt additionnel de 219 200 $[3], et ce, sans compter l’impôt payable par la société en raison de la disposition des titres boursiers[4]. C’est cela, la triple imposition.

Dans ce ­cas-ci, la valeur résiduelle du legs sera réduite des impôts du défunt d’un montant de 133 250 $ et d’un impôt de 219 200 $ sur la liquidation des actions, soit d’un montant d’impôt total payé d’environ 352 450 $ pour un bénéfice résiduel net du legs de 147 550 $ (sans compter l’impôt payable par la société sur la disposition des placements).

L’UTILISATION DE LA PLANIFICATION DU PARAGRAPHE 164(6) ­LIR

Une première planification aurait pu être effectuée afin de réduire l’imposition en se prévalant des dispositions du par. 164(6) LIR. En effet, le liquidateur avait le droit de liquider la société au cours de la première année d’imposition de la succession, provoquant ainsi un dividende de liquidation égal à 500 000 $ et entraînant un impôt de 219 200 $[5].

Le dividende aurait cependant eu pour effet de réduire le produit de disposition des actions à zéro par le jeu du par. 84(2) et de l’article 54 ­LIR et cela aurait provoqué une perte en capital pour la succession, laquelle aurait pu être reportée dans la déclaration principale de M. Tremblay. Ce qui aurait par le fait même éliminé le gain en capital de 500 000 $ réalisé au décès relativement aux actions de la société, ainsi que les impôts s’y rattachant.

Ainsi, il aurait été possible que le liquidateur remette à sa fille une somme nette de 280 800 $ (il faut aussi considérer les impôts à payer par la société sur la disposition des placements). Toutefois, puisque les actions ont déjà été transférées par la succession à la fille en vertu d’une déclaration de transmission notariée, cette technique ne peut plus être utilisée.

L’UTILISATION DE LA PLANIFICATION DU « PIPELINE »

Une deuxième planification pourrait être proposée, soit la technique dite « du pipeline ». ­Celle-ci est possible, puisque contrairement à la précédente, la loi ne prévoit pas que seule la succession peut s’en servir pendant sa première année d’imposition.

Pour ce faire, la fille constitue une nouvelle société, laquelle acquerra les actions de la société de portefeuille pour 500 000 $, soit la juste valeur marchande (JVM) des actions, et émettra en contrepartie une action ordinaire et un billet au montant de 500 000 $ payable à ­elle-même.

M. Tremblay ayant acquitté ses impôts au décès lors de la disposition réputée, cela permettra à sa fille de sortir progressivement les liquidités de la société de portefeuille sans aucune conséquence fiscale négative, en fusionnant ou liquidant la société de portefeuille dans la nouvelle société, dans la mesure où la directive actuelle de l’ARC est respectée[6]. Notons que, pour contrer les impôts résultant de la vente des titres boursiers, cette technique et la liquidation ou la fusion devront avoir lieu avant d’effectuer la vente des titres boursiers.

Dans ce cas, le gain en capital de 500 000 $ de M. Tremblay sera imposé dans sa déclaration principale pour l’année de son décès et l’impôt s’établira approximativement à 133 250 $, ce qui est beaucoup moins que dans un scénario de dividende où l’imposition pour les mêmes 500 000 $ s’établit à 280 800 $. L’économie fiscale sera de 147 550 $ (280 800 $ – 133 250 $). En plus, l’impôt sera évité ou du moins réduit lors de la disposition des actions cotées à la ­Bourse, puisque leur coût fiscal sera augmenté à leur ­JVM (en date du décès).

Voici un résumé chiffré de ces trois scénarios:

tableau_archive_avril2017_planification_pipeline_succession_650 Odile-St-Hilaire-et-Michel-Lessard_425 Me Odile St-Hilaire, notaire fiscaliste, Lessard & St-Hilaire, société professionnelle inc. Michel Lessard, fiscaliste, assureur vie agréé et Pl. Fin., Lessard & St-Hilaire, société professionnelle inc.


[1] Le prix de base rajusté des actions étant de 100 $. [2] À un taux de 26,65 %. [3] À un taux de 43,84 %. [4] Moins les effets bénéfiques subséquents sur les comptes de CDC et d’IMRTD. [5] À un taux de 43,84 %. [6] Laquelle demande d’attendre un certain délai (souvent un an) avant de liquider/fusionner et d’encaisser les sommes progressivement sur une autre année.


• Ce texte est paru dans l’édition d’avril 2017 de Conseiller