Une nouvelle commission avec ça?

Par Yves Bonneau | 21 octobre 2011 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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En mai 2010, les conservateurs ont déposé un projet de loi visant à créer une commission nationale des valeurs mobilières. Depuis, la Cour d’appel du Québec et celle de l’Alberta ont statué que la réglementation en ce domaine était de compétence provinciale, arguant l’inconstitutionnalité de la proposition fédérale.

La Cour suprême a donc été appelée en renfort par le gouvernement Harper et, si tout se passe comme prévu, la livraison du cadeau suprême devrait arriver juste à temps pour les Fêtes, ou d’ici la fin 2011. La plus haute cour du pays devrait alors soit invalider, soit entériner les jugements des tribunaux provinciaux. Et ce sera évidemment sans appel.

Mon petit doigt me dit cependant que la Cour suprême empruntera le tortueux chemin tracé par les pères de la Constitution canadienne, comme édicté dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB), qui date de 1867.

Entretemps, le mois dernier, le chercheur Pierre Lortie, qui est conseiller principal, Affaires, chez Fraser Milner Casgrain, a produit une étude pour le compte de l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP) sur le bien-fondé du projet Flaherty. Comme M. Lortie le mentionne, au-delà de l’enjeu constitutionnel, « on doit s’interroger sur la question tout aussi importante de la justesse d’un tel changement dans l’architecture du régime canadien de réglementation des valeurs mobilières en termes de politiques publiques ». Il en conclut que la création d’un organisme unique de réglementation des valeurs mobilières minerait plusieurs des avantages du régime actuel sans apporter de réels bénéfices économiques. Donc, qu’une commission des valeurs canadienne serait tout simplement inutile.

Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller

Mais cela importe peu pour l’équipe de M. Flaherty. Que les commissions de valeurs mobilières des provinces et les ministres des Finances respectifs planchent depuis des années sur l’harmonisation de leurs lois et réglementations, que des ententes multilatérales soient déjà en place, comme le Régime d’examen concerté des prospectus (qui permet à une entreprise de n’émettre qu’un prospectus dans sa province d’origine pour être reconnue dans le reste du pays), que les provinces aient instauré un mécanisme de passeport entre les juridictions : Ottawa justifie sa plus récente incursion dans un champ de compétence réservé aux provinces comme étant un pas en avant en matière d’efficacité.

En prenant l’exemple de la SEC ou d’autres commissions nationales, le fédéral tente de convaincre les Canadiens que la création d’un organisme réglementaire national en valeurs mobilières améliorerait l’efficience des marchés au pays.

Pour ce qui est du marché financier américain, il est à l’opposé du nôtre. Il est très fragmenté, autant l’industrie bancaire que le marché des valeurs. La SEC supervise neuf Bourses, le marché au comptoir, 70 systèmes de négociation alternatifs et 12 agences de compensation. Les États-Unis sont réputés pour les coûts exorbitants et la lourdeur de leur réglementation. Et, malgré tout, cela n’a pas empêché les scandales qui ont anéanti la confiance des investisseurs depuis dix ans. Madoff étant le plus spectaculaire exemple d’ineptie du régulateur américain.

De son côté, le système financier canadien est très fortement concentré, et le secteur bancaire est celui qui y est le plus concentré au monde.

En lieu et place, le gouvernement central passe à côté d’une belle occasion de s’illustrer en établissant des mécanismes pour empêcher une convergence excessive. Depuis les 10 dernières années, l’industrie des services financiers s’est consolidée à un point tel que 90 % des actifs sont entre les mains d’une douzaine de sociétés financières qui ne cessent de croître. Il est dangereux de concentrer tout le pouvoir entre les mains d’un petit groupe de sociétés, de créer ainsi d’immenses monopoles. L’entrepreneurship de base dans ce secteur vital de l’économie est déjà passablement affaibli, toute initiative générant une plus grande convergence risque de l’anéantir. Et que dire du silence et de l’inertie complices de l’Ontario Securities Commission, qui ne participe toujours pas au régime de passeport…

Il apparaît évident pour plusieurs constitutionnalistes que l’AANB accorde au gouvernement central certains pouvoirs supplétifs en dépit de la prépondérance de compétences historiquement d’ordre provincial. Cela veut dire qu’il y a de fortes chances que le renvoi à la Cour suprême se solde par une argumentation fondée sur les dernières interprétations jurisprudentielles extensives de la Loi constitutionnelle de 1867 : soit l’introduction de l’article 91 (la théorie de l’intérêt national) et de l’article 91(2) (qui balise les règles relatives à la circulation du commerce interprovincial).

Dans ce cas, les contestations du Québec et de l’Alberta ne feront pas le poids. Le gouvernement du Québec n’a donc aucune cartouche juridique pour empêcher le fédéral d’exécuter son plan. Reste la bataille de l’opinion publique. Mais encore là, la mollesse du gouvernement Charest et du ministre des Finances Bachand n’augure rien de bon pour la suite des choses. Monique Jérôme-Forget va manquer aux tenants du statu quo.

Après la décision de la Cour suprême, plus rien n’empêchera le ministre Flaherty d’aller enfin de l’avant avec ce projet majeur qui influencera à jamais le paysage financier canadien.

L’AMF et les autres régulateurs provinciaux pourront demeurer, mais il est acquis d’avance que le fédéral voudra toute la place (médiatique) en matière de répression et de coercition, comme la SEC.

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Yves Bonneau, rédacteur en chef Conseiller


Cet article est tiré de l’édition de novembre du magazine Conseiller.

Yves Bonneau