Fonds spéculatifs : comment séparer le bon grain de l’ivraie ?

Par Sophie Stival | 19 octobre 2009 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Depuis le cas Bernard Madoff, êtes-vous de ceux qui ont rayé les fonds spéculatifs (hedge funds) de leurs propositions de placements? Scot Blythe écrit, dans Perspectives investisseurs de Morningstar, que ces fonds sont des véhicules de placements utiles pour plusieurs investisseurs (bien qu’ils ne conviennent pas à tout le monde).

En fait, il faut distinguer les cas de fraudes des «effets pervers» de certaines stratégies de placements. Bref, «il faut comprendre quel est le moteur du rendement, qui est au volant et comment repérer les carambolages potentiels», explique le journaliste financier d’expérience.

À qui s’adressent ces fonds?Les fonds spéculatifs ou alternatifs ont permis à plusieurs fonds de retraite et de dotation (Teachers, Fondation de Yale) de profiter des rendements relatifs non corrélés de ces produits par rapport aux placements plus conventionnels comme les actions et les obligations. Notons toutefois que ces institutions ont un net avantage sur les investisseurs: elles détiennent des méthodes de contrôle du risque sophistiquées.

La plupart des investisseurs n’ont pas les compétences pour évaluer ces fonds. Certains conseillers, qui peuvent vendre des valeurs mobilières, doivent également bien comprendre les produits qu’ils recommandent à leurs clients.

Au Canada, les individus qui veulent acheter des fonds spéculatifs ne peuvent le faire que s’ils déboursent au moins 150000$ ou si ce sont des investisseurs agréés (voir tableau). Ces contraintes importantes permettent de s’assurer que les gens font preuve de diligence raisonnable dans l’achat de tels produits financiers.

Un investisseur agréédoit avoir:

  • un revenu minimum de 200000$ par an durant trois années consécutives
  • un revenu minimum de 300000$ par an durant trois années consécutives avec le revenu du conjoint
  • 1 million$ d’actifs financiers, résidence familiale non comprise

Qu’entend-on par diligence raisonnable?Selon Scot Blythe, il faut tout d’abord analyser le rendement du produit. La stratégie peut-elle se répéter et réussir avec un nombre d’actifs plus élevé? Ensuite, la société est-elle organisée pour gérer des actifs et des rapports aux clients avec ponctualité et transparences (aspect opérationnel)?

Dans le cas du rendement, la plupart des gestionnaires de fonds spéculatifs doivent disposer d’un historique de rendements sur deux ou trois ans avant de chercher à solliciter des fonds, en plus du capital de démarrage.

Mais les chiffres ne révèlent pas tout. Il faut bien comprendre quels sont les moteurs du rendement. Une approche plus qualitative permet de mieux cerner les mauvaises périodes d’un gestionnaire et d’examiner ce qu’il a fait pour réduire le risque (modifier son approche de placement) dans de tels moments. «Après tout, les fonds spéculatifs sont censés mettre en valeur les talents d’un gestionnaire dans son choix de titres», rappelle M. Blythe.

Quelle est la stratégie du gestionnaire?Comprendre la stratégie du gestionnaire est capital. Bien des fonds spéculatifs suivent une approche longue/courte des actions. Ils achètent des titres de bonne qualité qu’ils considèrent sous-évalués et vendent à découvert les titres de qualité inférieure.

D’autres fonds mondiaux macroéconomiques transigent des contrats à terme de marchandises et utilisent des modèles d’algorithmes commerciaux. Ils parient sur la direction générale du marché peu importe le véhicule qu’ils adoptent (marchandises, devises, contrats à terme sur actions ou obligations).

Enfin, il y a les stratégies de valeur relative où l’arbitrage entre deux types de titres est à l’honneur (actions d’une société et ses obligations convertibles, actions d’une compagnie ciblée pour être acquise et son acquéreur). Ces stratégies ont leurs propres cycles boursiers.

Attention à l’effet de levierComprendre l’effet de levier est très important, rappelle le spécialiste de Morningstar. «Certains fonds emprunteront pour améliorer leur rendement, bien que l’effet de levier soit encore relativement modéré au Canada. Il est possible qu’un investisseur voie un fonds déployer le double de son capital. Il y a une grosse différence par rapport aux grandes banques américaines, qui participaient à des placements engageant plus de 30 fois leur capital.»

Choisir un fonds individuel ou un fonds de fonds?Investir dans un seul fonds spéculatif c’est un peu comme acheter des actions. Il est plus prudent de diversifier son portefeuille d’actions, et il en va de même pour les fonds spéculatifs. Certains vont échouer, d’autres prospérer, précise M. Blythe.

Pour un investisseur particulier, la tâche n’est pas aussi simple. La plupart du temps, on s’en remettra à des gestionnaires de fonds de fonds. «C’est pour cette raison que la débâcle Madoff a causé tant de dégâts. Plus d’un gestionnaire de fonds de fonds réputé s’est laissé aveugler, et pas sur le plan des rendements, mais au niveau opérationnel», rappelle-t-il.

Les gestionnaires de fonds de fonds sont censés évaluer minutieusement les gestionnaires grâce à un questionnaire détaillé et des visites ponctuelles sur place. Non seulement veulent-ils connaître l’historique de leur rendement, ils veulent également connaître leur parcours personnel et inspecter le côté opérationnel, autrement dit: la comptabilité, les prestataires de services et le processus d’élaboration du modèle commercial – si, par exemple, le gestionnaire de fonds est toujours en déplacement, qui s’occupe des placements?

Ils veulent aussi juger de la taille du fonds et de sa capacité à absorber des actifs supplémentaires. Lorsqu’un portefeuille devient trop volumineux, les stratégies qui lui réussissaient s’arrêtent parfois de fonctionner parce qu’il y a trop de capitaux en quête des mêmes gains.

Lorsqu’on achète un fonds spéculatif, la fraude est toujours possible. Mais il en est de même pour la déconfiture d’une stratégie de placement. Aussi, la méfiance reste toujours meilleure défense. «Et, comme le dit le vieil adage, si ça paraît trop beau pour être vrai, c’est que ça l’est probablement».

Sophie Stival